1Les
percées théoriques sur le concept du pouvoir d’agir, auxquelles nous
assistons depuis les dernières années sur le plan international,
témoignent de l’importance accordée à ce concept. Mais comment
l’étudier ? Le pouvoir d’agir est un concept en devenir, et les
méthodes pour l’approcher et en saisir les caractéristiques restent tout
autant à inventer. Le propos de cet article est de présenter une
approche méthodologique, au croisement de deux cadres théoriques
distincts du pouvoir d’agir, mais qui trouvent articulation autour de la
naissance d’un outil, à la fois questionnaire et support d’entretien,
que nous avons appelé le « Questionnement du Pouvoir d’Agir »
(QPA). Cet outil a été construit à l’occasion d’une étude menée dans le
champ de la santé, sécurité et conditions de travail (Langa, Gouédard et
Rabardel, 2008a, 2008b). L’objet de cette étude était de développer des
outils pour apprécier l’impact des systèmes de management de la
prévention sur le pouvoir d’agir des acteurs. L’innovation
méthodologique ici présentée tient à la fois au recueil et aux
traitements des données, mais aussi aux nouveaux types d’analyses et
résultats produits à partir de cet outil.
2En
première partie, nous positionnerons le modèle sur lequel nous prenons
appui : l’homme comme sujet capable, au regard de la diversité des
approches en matière de pouvoir d’agir. Des concepts théoriques
fondateurs de ce modèle seront brièvement présentés. Puis nous mettrons
en évidence (point II) comment ces concepts peuvent trouver articulation
avec l’approche québécoise du « Développement du pouvoir
d’agir » (Le Bossé, Gaudreau, Arteau et coll., 2002). Ceci nous
permettra, en point III, de mieux comprendre l’intérêt d’articuler ces
deux approches au sein d’un même outil. Nous resituerons ensuite (en
point IV) le contexte d’élaboration du QPA, et présenterons le terrain
d’étude où a été menée sa passation princeps. Puis, nous expliquerons
les principes d’élaboration de l’outil (point V). Après avoir présenté
sa technique de passation (choix des acteurs et modalités
d’administration, en partie VI), la septième partie sera consacrée à la
méthode de traitement et d’analyse des données du QPA, où sera présentée
une grille de codage originale pour l’analyse qualitative des capacités
d’agir et du pouvoir d’agir des acteurs. Cette proposition sera
illustrée par des exemples issus de l’étude de terrain. Les intérêts et
limites de la perspective méthodologique proposée (partie VIII) seront
ensuite discutés, en vue de questionner ses possibilités d’usage :
l’outil exemplifié dans cet article dans le champ spécifique de la
Santé, Sécurité et Conditions de Travail (SSCT) pour la prévention des
risques peut avoir une portée beaucoup plus générique. Nous pensons
qu’il pourrait être transposé de façon utile et pertinente dans tout
contexte où peut se poser un déséquilibre entre ressources perçues par
le sujet et celles à sa disposition.
3Le
concept du pouvoir d’agir est d’apparition récente dans le champ de la
psychologie du travail et de l’ergonomie (Clot, 1997 ; Rabardel,
1998 ; Clot, Faïta, Fernandez et coll., 2000), il est, de ce fait,
encore et sans doute pour longtemps en construction.
4Pour
la clinique de l’activité dont les références centrales sont à la fois
dans les théories de l’activité et le champ clinique, le pouvoir d’agir
« mesure le rayon d’action
effectif du sujet ou des sujets dans leurs milieux professionnels
habituels. » […] Il « est hétérogène » et « augmente
ou diminue en fonction de l’alternance fonctionnelle entre le sens et
l’efficience de l’action. » […] « Le pouvoir d’agir signe
l’efficacité dynamique de l’activité, ses métamorphoses entre sens et
efficience. » (Clot 2008, p. 13).
5Le
développement du pouvoir d’agir correspond « à l’efficacité
dynamique du bien faire, ce rayonnement de l’activité à l’opposé de
l’activité désabusée. » (Ibid. p. 18). Cette approche du
pouvoir d’agir des sujets est liée à des méthodologies articulant
production de connaissances et transformation des situations.
- 1 Leplat (2011) considère que la « distinction entre capacité et pouvoir d’agir fait mieux saisir ce (...)
6L’approche
instrumentale partage avec la clinique de l’activité un ancrage
théorique principal dans les théories de l’activité, mais sa seconde
articulation est dans les psychologies développementales (notamment la
lignée piagétienne) ainsi que les disciplines d’action au travail
(l’ergonomie) et en formation (les didactiques). Le pouvoir d’agir y est
défini sur des bases qui conduisent à le distinguer de la capacité
d’agir, ce que ne fait pas la clinique de l’activité1.
C’est le cadre de référence sur lequel nous nous appuyons pour explorer
les questions au cœur de cet article. Il correspond à la conception de
l’homme comme « sujet capable », acteur au quotidien de son
travail et de la sécurité pour lui-même et pour les autres (Rabardel,
2005a, Pastré, 2011). Cet acteur dispose d’un ensemble de ressources qui
sont constitutives de ses capacités d’agir (ce qu’il est capable de
faire dans ses différents domaines d’activité) et de son pouvoir d’agir
(ce qu’il lui est possible effectivement de faire compte tenu des
caractéristiques concrètes et singulières des situations dans lesquelles
il réalise son travail et déploie son activité). (Rabardel, 2005b,
2005c).
7Enfin, une troisième source d’élaboration du concept de pouvoir d’agir s’enracine dans les travaux nord-américains sur l’empowerment
des personnes et des collectivités (Zimmerman, 2000 ; Bernstein,
Wallerstein, Braithwaite et coll., 1994). On peut définir l’empowerment
comme la capacité des personnes et des communautés à exercer un contrôle
sur la définition et la nature des changements qui les concernent
(Rappaport, 1987). Le Bossé (2003) propose de traduire ce concept par
l’expression « développement du pouvoir d’agir » car
sous-tendant un processus visant à « contribuer à l’émergence des
conditions nécessaires à la manifestation d’un pouvoir d’agir » (p
46). Cette approche québécoise du développement du pouvoir d’agir s’est
initialement développée dans une perspective d’intervention dans le
champ social (promotion de la santé, protection de la jeunesse,
insertion socioprofessionnelle, décrochage scolaire, etc.). Il s’agit
de « créer les conditions
pour qu’elles [les personnes] puissent agir individuellement ou
collectivement sur ce qui est important pour elles » (Le Bossé,
2007, p 6).
8Le
Bossé (2003, op. cit.) en a analysé et synthétisé les principales
dimensions et développé sur cette base un outil d’évaluation
multidimensionnel prenant en compte les contextes dans lesquels il sera
utilisé (Le Bossé, Dufort et Vandette, 2004).
9Les
ressources dont dispose le sujet capable dépendent à la fois de ce qui
lui est fourni par les organisations et de ses propres élaborations
développées au long de l’expérience professionnelle (notamment en
matière de compétences et d’instruments). Dans la perspective
instrumentale, les ressources dans leur double relation à l’activité
(constructive et productive) constituent un fondement déterminant des
capacités et pouvoir d’agir du sujet capable.
-
« La capacité
d’agir » est liée aux compétences, aux instruments et à l’ensemble
des ressources développées comme moyens potentiellement opératifs dans
le monde où ils peuvent être mobilisés et mis en œuvre par les sujets.
La capacité d’agir n’est pas une capacité en général, mais une capacité à
faire quelque chose, à faire advenir quelque chose dans l’espace des
situations et des classes de situations correspondant à un ensemble
significatif pour le sujet, par exemple un domaine d’activité
professionnelle ou de vie quotidienne. Elle dépend des régularités
spécifiques du ou des domaines d’activité auxquels elle correspond.
-
« Le pouvoir
d’agir » dépend des conditions externes et internes au sujet, qui
sont réunies à un moment particulier, comme l’état fonctionnel du sujet,
les artefacts et ressources disponibles, les occasions
d’intervention, etc. Il est toujours situé dans un rapport
singulier au monde réel, rapport qui actualise et réalise la capacité
d’agir en transformant les potentialités en pouvoir.
10Capacité
et pouvoir d’agir sont liés aux contextes et conditions de l’activité
du sujet capable. Les capacités sont articulées aux différentes classes
de situations et aux domaines d’activité tandis que le pouvoir d’agir
est circonstanciellement situé.
11Bien
qu’il soit issu de cadres théoriques très hétérogènes, le modèle du
sujet capable résonne avec l’approche québécoise du « Développement
du Pouvoir d’Agir » (DPA) des personnes et des collectivités.
12Un
premier point d’articulation se trouve dans la question des ressources
dont dispose le sujet. Cette question est centrale pour l’approche
instrumentale. L’approche DPA considère également que l’exercice d’un
pouvoir d’action ne peut être envisagé indépendamment des ressources
structurelles et individuelles :
« L’exercice effectif d’un
pouvoir d’action dépend à la fois des possibilités (les ressources, mais
aussi le cadre législatif et le contexte politique) offertes par
l’environnement et des capacités des personnes à exercer ce pouvoir (les
compétences, mais aussi le désir d’agir, la perception des possibilités
d’action, la capacité de projection, etc.). » (Renaud, 1995).
13Un
second point de convergence, entre modèle du sujet capable et celui du
DPA, est que la perspective prise sur le sujet est nécessairement celle
d’un acteur en contexte, agent de changements dans tous les milieux. Le
Bossé (2003, op. cit.) souligne aussi l’importance de la prise en
compte des contextes d’application pour le développement du pouvoir
d’agir et des collectivités qui suppose de préciser les changements
visés et leurs modalités, et de faire participer les personnes à la
définition des problèmes et des solutions.
14Enfin,
la thématique du développement constitue un troisième point
d’articulation entre les deux approches. Développement du sujet, de ses
capacités et pouvoir d’agir pour l’approche instrumentale, développement
du pouvoir d’agir dans l’approche DPA. Il ne s’agit cependant pas
exactement de la même conception du développement. L’approche DPA
considère le développement sous l’angle du gain
« fonctionnel » de pouvoir, tandis que l’approche
instrumentale, au-delà de cette dimension fonctionnelle, considère les
évolutions structurelles du(des) système(s) de ressources du sujet.
15Dans
des travaux antérieurs (Rabardel et Bourmaud, 2005), nous avons
développé une « Méthode d’analyse des Défaillances et de
Substitution des Ressources » (MDSR). Elle permet d’explorer
systématiquement le système des ressources constitutif des capacités
d’agir d’un acteur. Mais, elle présente l’inconvénient de ne constituer
qu’une approche indirecte du pouvoir d’agir inféré à partir du système
des ressources. De plus, elle suppose un investissement temporel lourd
peu compatible avec une investigation concernant de nombreux acteurs.
C’était le cas dans la recherche que nous avons menée (cf. point 5), qui
a donc été l’occasion d’explorer de nouvelles perspectives
méthodologiques issues de l’approche DPA. Nous avons choisi de
transposer au champ de la santé, sécurité et conditions de travail un
questionnaire de mesure du pouvoir d’agir (Le Bossé, Dufort et Vandette,
2004 , op. cit.) : le questionnaire « MIPPA »
(« Mesure d’Indicateurs Psychosociologiques du Pouvoir
d’Agir »).
16Le
questionnaire MIPPA est, pour ses auteurs, un instrument qui repose sur
une base conceptuelle explicite et généralisable tout en permettant de
prendre en compte les contextes dans lesquels il sera utilisé. Il a fait
l’objet de nombreuses recherches et a été soumis à des démarches
empiriques successives afin d’évaluer son articulation conceptuelle, ses
propriétés linguistiques ainsi que ses qualités psychométriques sur un
échantillon important de répondants. Il est donc potentiellement
utilisable après transposition des questions au contexte d’application.
Mais au-delà de cet aménagement nécessaire, la nouveauté de l’outil ici
proposé tient dans l’enrichissement que nous avons apporté au
questionnaire ainsi transposé : au recueil de données métriques
(issues des scores de ce questionnaire) s’articule un recueil de données
qualitatives complémentaires visant, en particulier, à recueillir des
explications aux réponses métriques du questionnaire fermé. Il devient
alors un support d’entretien en liaison avec les activités des sujets
interrogés. Est ainsi né un outil spécifique : le « QPA »
(« Questionnement sur le Pouvoir d’agir »).
17L’intégration
de ce recueil de données qualitatives suppose un traitement spécifique
et nous avons donc élaboré une grille de codage originale, absente du
questionnaire MIPPA, sur les dimensions « capacités » et
« pouvoir d’agir ». Les analyses visent à vérifier la validité
interne de l’outil à partir du croisement des traitements quantitatifs
et qualitatifs. Elles visent aussi à mettre en évidence les relations
entre les résultats issus des deux approches sources :
-
approche avec une entrée
empirique pour l’une, où des composantes du pouvoir d’agir sont
extraites, à partir d’analyses successives et systématiques, permettant
d’élaborer progressivement la MIPPA (approche DPA) ;
-
approche davantage conceptuelle
(le modèle du sujet capable) pour l’autre, où l’analyse se base sur les
concepts de « capacités » et « pouvoir d’agir » en
vue d’analyser, de manière systématique, les explications des acteurs.
18Notre
méthode articule donc un outil de type questionnaire (d’un usage peu
fréquent en ergonomie) avec un recueil de données qualitatives, plus
classique, par entretien en référence à l’activité.
19Avant
de présenter plus en détail les principes d’élaboration de cet outil,
il est utile de préciser la demande qui nous avait été faite et le
contexte d’élaboration du QPA afin d’en apprécier la pertinence, et la
manière dont il s’insère dans l’analyse de la situation.
20Le
QPA a été élaboré à l’occasion d’un contrat de recherche avec le Centre
d’Ergonomie et de Sécurité du Travail de l’Agence Régionale de
l’Amélioration des Conditions de Travail (CESTP-ARACT) qui souhaitait
s’outiller pour réaliser un travail d’évaluation des pratiques
d’organisation et de management de la prévention. Une des questions
était de s’interroger sur l’impact des « Systèmes de Management de
la Santé et de la Sécurité » (SMS) dans les entreprises qui les
avaient mis en place. Pour aborder cette problématique, notre
proposition fut d’approcher les systèmes de management par l’acteur afin
de comprendre comment les outils de management, de plus en plus
formalisés, agissent sur les capacités et pouvoir d’agir des acteurs.
Cette voie, plus prometteuse à notre sens que celle qui reste centrée
exclusivement sur les systèmes (avec le présupposé que plus on
s’approche de la conformité des procédures, plus les risques diminuent)
accorde au sujet une place centrale dans les analyses.
21Pour
illustrer la perspective méthodologique proposée dans cet article, nous
nous appuyons sur une monographie détaillée que nous avons conduite
(Langa, Gouédard et Rabardel, 2008a, op. cit.) en tant
qu’expérience princeps de l’utilisation du QPA. Elle a été menée sur le
site d’une entreprise qui s’était portée volontaire pour participer à
cette étude. Ce site, sélectionné parmi d’autres possibles par les
commanditaires de l’étude, avait été pressenti comme un terrain
expérimental favorable pour accéder facilement à un grand nombre
d’acteurs.
22Préliminairement
à la passation du QPA, nous avions recueilli des éléments visant à
établir un état des lieux sur les pratiques d’organisation et de
management en matière de prévention au travail (en particulier,
description du fonctionnement du site choisi et examen du système de
management de type SMS mis en place, choix des acteurs en santé,
sécurité et conditions de travail). Cet état des lieux préliminaire a
été constitué à partir de la rencontre des managers et professionnels de
la santé, sécurité et conditions de travail, mais aussi
d’opérationnels. Le QPA s’insère donc dans une analyse plus globale de
la situation, indispensable pour comprendre le contexte et notamment
choisir les acteurs à interroger (cf. point VI).
23Le
site choisi pour cette monographie fait partie d’une entreprise de près
de sept cents salariés, spécialiste de la collecte et du traitement des
déchets dangereux (solides, pâteux et liquides). Il compte cinquante
salariés qui travaillent pour une clientèle composée de petites et
moyennes entreprises (PME) de tous secteurs d’activités. Le travail se
découpe en quatre grandes activités : (1) la mise en place de la
prestation, (2) la collecte, (3) la réception, la préparation et le
stockage, (4) le transfert vers les centres de collecte agréés. Ce site
présente une situation concrète de management de type SMS déjà
opérationnelle depuis deux ans. Nos premiers entretiens menés ont révélé
que le site était déjà dans une logique d’amélioration continue bien
avant la mise en place du SMS : ravagé par un incendie quelques
années auparavant, cet événement, qui a marqué l’ensemble des acteurs de
l’entreprise dans leur conscience des risques, a contribué à développer
différentes actions de prévention bien en amont du SMS. Le risque
incendie qui concerne l’ensemble du personnel n’est pas le seul. Deux
autres risques importants sont présents sur le site, le risque explosion
et le risque environnement ; d’autres types de risques, liés à la
spécificité des postes de travail, ont également été relevés (risque de
chute ou de glissade pour les manutentionnaires travaillant sur les
quais, risque de percussion pour les caristes avec leur engin dans la
cour, etc.).
24Nous
pouvons considérer que chacun des acteurs présents sur ce site, et ceci
quel que soit son statut dans l’entreprise, est un « acteur
ergonomique » (Rabardel, 1999, 2005a op. cit.) qui œuvre pour
la prévention. En lien avec les démarches de prévention mises en place,
notre objet d’étude était ainsi de nous interroger sur la perception des
capacités et pouvoir d’agir de chaque acteur à partir de sa place dans
l’organisation : la passation du QPA, dont nous présentons ci-après
l’élaboration, avait donc l’ambition d’explorer ces aspects en allant
au-delà de l’évaluation métrique du pouvoir d’agir telle que proposée
dans le questionnaire MIPPA.
25Avant
d’expliquer comment nous avons transposé les questions MIPPA au nouveau
contexte, il est utile de présenter la structure du questionnaire
MIPPA. Il comporte vingt-neuf items au total qui portent sur huit
dimensions :
-
cinq dimensions sont
régulièrement associées au développement du pouvoir d’agir dans la
littérature spécialisée, et tout particulièrement à la dimension
intrapersonnelle de l’empowerment (voir par exemple, Zimmerman,
2000, op. cit.). Il s’agit de : (1) la « motivation à
agir », (2) le « contrôle perçu », (3) la
« perception de ses compétences à la participation », ainsi
que (4) l’« évaluation des bénéfices de l’action collective »
et (5) « l’évaluation des bénéfices de l’action
personnelle » ;
-
deux autres dimensions, (6) la
« conscience critique personnelle » et (7) la
« conscience critique collective » sont regroupées sous la
« conscience critique ». Elles font aussi partie intégrante de
l’approche centrée sur le développement du pouvoir d’agir (Freire,
1998 ; Ninacs, 1995), et constituent une innovation notable dans le
questionnaire MIPPA. Le Bossé, Dufort et Vandette (2004, op. cit.)
mentionnent en effet qu’aucun des instruments actuellement disponibles
sur ce thème n’inclut une dimension reliée à la notion de prise de
conscience. Elle contribue pourtant au fait que les personnes deviennent
« les agents de leur propre destinée » (Breton, 1989). Les
items portant sur la conscience critique ont été construits à partir des
réflexions de Ninacs et Freire. Selon Ninacs (2008, p. 21),
« la conscience critique débute par la prise de conscience de
l’existence d’un problème par l’individu (conscience individuelle). Par
la suite, ce cheminement comprend le développement d’une conscience
collective (l’individu n’est pas le seul à avoir un problème), d’une
conscience sociale (les problèmes individuels ou collectifs sont
influencés par la façon dont la société est organisée)… » Freire
(1998, op. cit.) souligne qu’une réflexion critique se caractérise
par la perception d’un contrôle possible favorisant la mise en œuvre
d’actions pour exercer ce contrôle ;
-
la huitième et dernière dimension
porte spécifiquement sur le « sentiment d’efficacité
personnelle » (8). Selon Bandura (1997), le sentiment d’efficacité
personnelle constituerait le médiateur par excellence du renouvellement
du rapport à l’action.
26L’analyse
des données statistiques menée par Le Bossé, Dufort et Vandette (2004,
op .cit.) à partir de leurs travaux sur le « Développement du
Pouvoir d’Agir » montre que ces dimensions se regroupent autour de
trois facteurs au sens statistique, conceptuellement distincts et
cohérents avec la littérature spécialisée sur le sujet, qui sont :
(1) la « propension à l’action » rassemblant les cinq
premières dimensions, (2) la « conscience critique », (3) le
« sentiment d’efficacité personnelle », bien que ce dernier
facteur apparaisse plus mitigé. Les résultats montrent que ces trois
facteurs établis empiriquement expliquent 65 % de la
variance : on peut donc présumer que cet instrument est en mesure
d’évaluer un univers conceptuel cohérent.
27Le
questionnaire MIPPA regroupe un ou plusieurs items pour chacune des
dimensions visant à mesurer le pouvoir d’agir (cf. annexe 2
« Structure du questionnaire QPA »). A l’exception d’un item
(EBAP 30, remplacé par l’item CP27), l’ensemble des items a été retenu
pour la transposition (le QPA se compose de 29 items). L’annexe 2 rend
également compte des formulations linguistiques qui caractérisent les
items selon la dimension considérée. Nous les avons respectées pour la
transposition au champ de la santé, sécurité et conditions de travail.
Par exemple, les items visant à mesurer la « motivation à
agir » sont caractérisés par des propositions de type « je
veux… » ou « j’aime… », les formulations associées aux
items mesurant le « contrôle perçu » ou encore « la
perception de ces compétences à la participation » sont de type
« je peux » ou « j’ai assez [de ressources] pour… »
Nous avons donc veillé à conserver le format de chacune des questions en
l’adaptant au contexte de travail qui était le nôtre : par
exemple, la question originelle CP14 (relative au Contrôle Perçu) dans
le questionnaire MIPPA « J’ai du temps pour faire des activités
avec d’autres parents » devient « J’ai du temps pour
participer à des activités de la SSCT ».
28La
spécificité du QPA tient surtout au fait qu’il constitue un support
d’entretien qui s’articule autour d’un double recueil de données
qualitatives.
29Premièrement,
à chacun des items du QPA (issus du questionnaire MIPPA), nous avons
associé des sous-questions dans le but que le répondant puisse
expliciter son score attribué afin d’exploiter ces résultats
relativement aux capacités et pouvoir d’agir des acteurs.
30Ces
explications renvoient à la description de l’activité par le sujet
(activités réalisées, ce qu’il se propose de réaliser, les acteurs avec
lesquels il fait ces activités ou compte les faire, etc.). L’invitation
constante du répondant à expliciter les scores qu’il attribue nous
permet de ramener le sujet dans son activité habituelle, d’en obtenir
des descriptions au travers d’exemples, et de recueillir des éléments
sur ses ressources. Par exemple, pour la question CP27 « J’ai assez
de moyens, et de disponibilités, pour me consacrer à la SSCT »,
les sous-questions associées sont : quels moyens ? Quelles
disponibilités ? Temps, ressources ? Nous recherchions ainsi à
mieux caractériser le système de ressources de l’acteur
répondant ; ces explications permettent également de vérifier ce
que le sujet comprend des questions, contribuant ainsi à vérifier la
validité interne du QPA.
31Deuxièmement,
les différents items du QPA sont aussi précédés de questions ouvertes
sur le travail réalisé, ses risques et atteintes possibles à la santé.
Cette introduction est un préalable nécessaire pour comprendre les
tâches et activités des différents acteurs de l’entreprise, leurs
conditions de réalisation, et découvrir les ressources mises en œuvre
face aux difficultés éventuellement relevées. Elle permet de laisser le
sujet s’exprimer sur son activité plus globalement, avant de rentrer
dans des questions plus spécifiques. La passation se conclut par un
entretien de synthèse portant sur la manière dont s’articulent les
activités en lien avec la santé, sécurité au travail, et conditions de
travail à l’activité habituelle. Cet entretien consiste également à
recueillir chez le répondant ce qu’a changé la mise en place du système
de management en santé et sécurité au travail, de son point de vue, afin
d’en montrer les évolutions perçues.
32Le QPA, issu de la transposition de la MIPPA et enrichi, est présenté en annexe 1.
33Les
entretiens préalablement menés pour dresser un état des lieux du site
nous ont permis de constituer le panel d’acteurs auquel a été soumis le
QPA. Vingt-et-un acteurs sur les cinquante salariés du site étudié ont
répondu au QPA, ce qui représente près de la moitié des personnels.
34Le
panel retenu a été constitué en vue d’être représentatif de la
population du site : aucun métier n’a été omis à partir des
catégories d’activités établies, et nous avons interrogé des acteurs qui
appartiennent ou non à un comité de progrès de l’entreprise ou encore à
une délégation du personnel. Ce panel est représentatif des trois
niveaux d’acteurs institutionnels de la santé, sécurité et conditions de
travail : managers, préventeurs et personnels en charge de la
sécurité - dont c’est le métier -, opérateurs en tant qu’acteurs directs
du travail. Il se compose de la manière suivante :
-
tous les managers en poste sur le
site ont été rencontrés, soit cinq sujets : le directeur du site,
le chef d’exploitation, le responsable du laboratoire, le chef de quai,
le coordinateur d’équipe ;
-
nous avons rencontré quinze
opérationnels sur quarante-quatre. Les entretiens ont été menés auprès
de ceux disponibles la journée de passation du QPA, tout en satisfaisant
nos critères préalables, notamment la représentation de la diversité
des activités de travail. Les personnes qui ont fait partie de la
passation sont : quatre chauffeurs dont un sédentaire, un
manutentionnaire, deux assistants d’exploitation, un comptable, deux
caristes dont un chargé également de la manutention, un pompiste, un
chimiste, deux assistants commerciaux et un technico-commercial ;
-
le seul professionnel de la
santé, sécurité et conditions de travail en poste dans l’entreprise a
également été interrogé : il s’agit du responsable Qualité Sécurité
Environnement.
35En
ce qui concerne les modalités d’administration du QPA, précisons qu’il
avait été distribué avant l’entretien à tous les acteurs de
l’entreprise, et une information, que nous avions préalablement validée,
avait été diffusée par la direction aux salariés. Cette distribution
préalable du QPA permettait aux acteurs d’en prendre connaissance avant
l’entretien, mais c’est l’interviewer qui remplissait le QPA au moment
de l’entretien.
36Ce
mode de passation minimise les effets d’interprétation par le répondant
sur les questions fermées : a contrario d’une passation sans
intervention de l’interviewer, la passation se fait en sa présence.
Toute difficulté de compréhension des questions soulevée par le
répondant peut donc être éclairée directement par l’interviewer.
- 2 Notons que quatre items relatifs à la conscience critique (CSR11, CSR41, CSR44, CSR46) seront codés (...)
37Pour
chaque question, le répondant doit indiquer son niveau d’accord ou de
désaccord sur une échelle de Likert. Il a quatre réponses
possibles : fortement en désaccord (« 1 »), plutôt en
désaccord (« 2 »), ou fortement en accord (« 4 ») ou
plutôt en accord (« 3 »)2.
Pour la dimension qui a trait au « sentiment d’efficacité
personnelle », le sujet doit répondre aux questions « je me
sens capable de… » par « oui », « non », ou
« ne sait pas ». S’il répond « oui », il doit
indiquer son degré de certitude sur une échelle de Likert allant de 0 à
10.
38La
durée moyenne de la rencontre avec chaque acteur est d’une heure. Trois
interviewers (les trois chercheurs impliqués dans cette étude) ont mené
les entretiens.
39La
première analyse menée consiste à mettre en relation la notation
attribuée par chaque acteur aux items du QPA avec les explications
verbales qui leur sont associées : observeton ou non une
congruence ? Pour ce faire, nous avons examiné le contenu des
réponses acteur par acteur, et item par item, en vue de quantifier les
cas de congruence et les cas de non-congruence, mais aussi de
répertorier quels sont les éventuels items concernés par des
incohérences. Ce traitement systématique sur l’ensemble des items, et
par croisement des acteurs, permet de découvrir si un cas de
non-congruence sur un item donné se répète ou non, et d’en éclairer les
causes possibles. Cet éclairage est utile, car il nous permet de pointer
sur d’éventuelles difficultés qui peuvent être dues, en particulier, à
la transposition du questionnaire au contexte de la santé, sécurité et
conditions de travail. Le petit exemple suivant, en référence à la
question MA12 « Dans le prochain mois, je veux participer aux
initiatives qui s’occupent de la SSCT », permet d’illustrer, à
partir de la réponse de trois acteurs distincts, ce que nous appelons
cas de congruence et cas de non-congruence.
Tableau 1 Exemples de cas de congruence ou de non-congruence
|
Notation attribuée à l’item pour un acteur donné
|
Explication(s) verbale(s) associée(s)
|
Exemples de cas de congruence
|
Pour le sujet 3 :
Score = 1 (fortement en désaccord)
|
Ça ne me concerne pas plus que ça ; pas dans l’immédiat
|
|
Pour le sujet 21 :
Score = 4 (fortement en accord).
|
Pour être plus attentif à ce qu’on fait
|
Exemple d’un cas de non-congruence
|
Pour le sujet 14 :
Score = 3 (plutôt en accord)
|
J’ai d’autres priorités (j’ai un petit garçon). Donc plutôt plus tard.
|
40Pour
les deux premiers cas relatés, la notation 1 ou 4 (témoignant d’un fort
désaccord ou au contraire d’un fort accord) est en cohérence avec
l’explication donnée par l’un ou l’autre des acteurs, alors que pour le
cas de non-congruence, la notation 3 donnée apparaît non cohérente avec
ce qu’exprime le sujet 14. Contrairement au sujet 3, qui répond
strictement à la question MA12 (de par la note attribuée et son
explication), le sujet 14 met en avant dans sa notation son accord pour
participer à des initiatives, alors que dans son explication il met en
exergue avant tout sa situation spécifique qui ne lui permet pas de le
faire actuellement (d’où la non-correspondance stricto sensu entre ces
données).
- 3 Précisons que la dimension « sentiment d’efficacité personnelle » n’a pas donné lieu à un traitemen (...)
41L’analyse de la congruence a porté sur 427 réponses exploitables sur un total de 525 questions3
pour les vingt-et-un21 répondants. Les cas de « congruence »
sont très majoritaires, puisqu’ils représentent 95 % des réponses
(soit 405 réponses).
42Les
cas de « non-congruence » restent faibles (5 %, soit 22
réponses). Leur examen montre que pour les deux tiers de ces cas (14
fois sur 22) une même question n’est concernée qu’une fois. Tel est
d’ailleurs le cas de la question MA12 vue précédemment. La formulation
de la question ne semble donc pas être en cause, et ceci pour la plupart
des cas examinés. Les cas de non-congruence sont plus nombreux sur la
dimension « conscience critique » (10 fois sur 22), mais elle
regroupe aussi le plus grand nombre d’items (10 items au total). On
relève clairement des inversions, sur cette dimension, clairement des
inversions : la notation attribuée par le répondant à l’item est
suivie de verbalisations la contredisant.
43Nous
avons également procédé, pour chacun des sujets, à la vérification de
la cohérence des réponses entre questions voisines ; cette analyse
complémentaire n’a pas mis en lumière de difficultés majeures.
- 4 Pour attester en revanche de la validité externe des qualités métriques de l’artefact, il conviendr (...)
44En
conclusion, la transposition du questionnaire MIPPA dans le domaine de
la santé, sécurité et conditions de travail apparaît concluante. La
forte congruence observée entre données métriques et données
qualitatives du QPA apporte des éléments favorables à la validité
interne du questionnaire4.
En procédant à une analyse qualitative pas à pas, plutôt qu’à un test
statistique, nous avons ainsi pu examiner finement les réponses et
disposer d’éléments pouvant expliquer les quelques difficultés
résiduelles : ambiguïté sur l’interprétation des mots (par exemple,
le mot « société » dans l’item CS22 réfère-t-il à la société
en général ou à l’entreprise dans laquelle travaillent les
salariés ?) ; nous avons ainsi pu constater que la question
issue du questionnaire MIPPA peut susciter une réponse générale (par
exemple CSR41 : « [En général] il faut faire de la SSCT une
priorité » [donc, je suis d’accord], alors que les demandes
d’explications amènent des réponses plus spécifiques au sujet, à la
situation [par exemple : « chez nous ce n’est pas nécessaire
puisque c’est déjà une priorité » [donc je suis en désaccord].
On peut aussi relever, en particulier, des contradictions apparentes,
mais qui sont relativement communes dans les situations de
travail : par exemple pour l’item CP14, le sujet peut répondre
négativement à l’item : « Je n’ai pas de temps pour participer
aux activités SSCT » [donc désaccord au vu de sa situation
spécifique], mais indiquer toutefois qu’il voit les gens après le
travail [il dédie malgré tout un temps après le travail pour arriver à
s’en occuper].
45Pour
la seconde analyse, nous rentrons au cœur de la problématique qui
consiste à coder les données d’entretien selon la double entrée
« capacités d’agir » et « pouvoir d’agir » en vue de
la confronter aux dimensions structurant le questionnaire QPA.
L’ambition est de répondre aux questions suivantes : (1) les
dimensions du QPA contribuent-elles toutes de la même façon à recueillir
des éléments en termes matière de capacités d’agir et de pouvoir
d’agir ? (2) En quoi la thématique des questions proposées pour les
dimensions du QPA permet-elle d’explorer les capacités d’agir et le
pouvoir d’agir ? (3) Y a-t-il des dimensions plus pertinentes que
d’autres pour distinguer les acteurs interrogés ? Si oui,
quelle est la contribution de l’analyse en termes de ce qui concerne les
capacités d’agir et pouvoir d’agir pour expliquer un pouvoir d’agir
fort ou faible ? Avant d’explorer ces questions, nous présentons
tout d’abord la grille de codage que nous avons élaborée, tout en
expliquant son sens et ses finalités.
46La
grille prend comme entrée la « capacité d’agir » ou le
« pouvoir d’agir » (cf. tableau 2). Seules les verbalisations
faisant référence à cette double catégorie d’analyse sont, à ce niveau
de traitement, prises en compte dans le codage.
47Le
codage se fait « en référence à la question ». Ceci signifie
que les verbalisations du sujet qui ne répondent pas à la question
concernée sont à ce niveau de traitement écartées.
Tableau 2 Grille de codage à partir des « capacités d’agir » et « pouvoir d’agir »
Capacité ou pouvoir d’agir
|
Position
|
Valeur (rapport d’état)
|
Dynamique évolutive
|
Attribution (à)
|
Ca : capacité d’agir P : pouvoir d’agir
|
c : constat d : demande r : refus p : projet
|
> : trop = : assez (suffisant) < : insuffisant
|
+ : augmentation # : état stable (équivalent) - : diminution
|
s : soi-même a : autrui gs : un groupe qui inclut le sujet ga : un groupe autre (dans lequel le sujet ne s’inclut pas)
|
48« Capacité
d’agir » (Ca) et « Pouvoir d’agir » (P) sont traités du
point de vue synchronique, afin de comprendre quelles sont les
ressources mobilisées ou mobilisables et leurs usages, et selon deux
termes, la « position » et la « valeur », qui se
caractérisent de la manière suivante :
-
la position peut être, par
exemple, un « constat » (c) de pouvoir d’agir insuffisant, une
« demande » (d) de pouvoir d’agir accru ou au contraire un
« refus » (r) ; elle peut aussi référer à un
« projet » (p), si le sujet l’exprime comme tel (par exemple,
un acteur peut projeter de faire une formation pour développer ses
connaissances en matière de sécurité et donc sa capacité d’agir) ;.
-
la valeur est identifiée dans les
réponses par la « suffisance » (codée « = ») ou
l’« insuffisance » (codée « < »), c’est-à-dire
que le sujet peut exprimer avoir assez ou non de pouvoir d’agir ou de
capacités. La valeur peut aussi faire référence au fait que l’acteur
estime qu’il a « trop » (codée « > ») de
capacités ou de pouvoir d’agir en regard de ce qu’il accomplit dans son
travail.
49Nous
traitons aussi le « pouvoir d’agir » et la « capacité
d’agir » d’un point de vue diachronique, afin de renseigner quelles
sont les dynamiques évolutives des ressources dans le temps :
elles peuvent être en « augmentation » (« + ») ou au
contraire en « diminution » (« - ») ou être
considérées comme « stables » par l’acteur (« »). Ces
trois valeurs permettent donc de caractériser la « dynamique
évolutive », lorsqu’elle est exprimée dans les verbalisations du
sujet. Enfin, une autre information que nous avons prise en compte dans
le codage, est que les réponses du sujet peuvent être formulées pour
soi-même (s), pour autrui (a), ou bien encore au nom d’un groupe auquel
le sujet appartient ou non dans l’entreprise (gs ou ga).
50Trois
exemples choisis (à partir d’explications d’acteurs distincts)
permettent de comprendre plus facilement comment les éléments du codage
s’articulent.
Tableau 3 Articulation des éléments du codage à partir d’exemples choisis
Item
|
Question / sous-questions
|
Explications
|
Codage des termes
|
Capacité
ou pouvoir
|
Position
|
Valeur (rapport d’état)
|
Dynamique
|
Attribution (à)
|
MA12
|
Dans le prochain mois, je veux participer aux initiatives qui s’occupent de la SSCT. Pourquoi ? Exemples d’initiatives. Plutôt plus tard ?
|
Apprendre des choses, m’améliorer sur la formation ; ça m’apporte.
|
Ca
|
d
|
|
+
|
s
|
Conclusion :
demande d’accroissement des capacités d’agir pour soi-même.
|
CP27
|
J’ai assez de moyens et de disponibilités pour me consacrer à la SSCT. Quels moyens ? Quelles disponibilités ? Temps, ressources ?
|
Quand j’ai du temps libre ; ça va un peu mieux car une personne peut me remplacer depuis deux ans.
|
P
|
c
|
<
|
+
|
s
|
Conclusion : constat de pouvoir d’agir insuffisant pour soi-même, mais en augmentation.
|
CSR44
|
On n’a pas besoin d’investir plus dans les services de prévention pour améliorer vraiment la SSCT. Que faire alors ? Que devrait-on faire de plus ?
|
Les investissements à faire
prochainement : modifier les outils de travail pour la mise en
conformité du matériel (remplacement des flexibles, etc.). Augmenter les
budgets. Un budget important : les gants.
|
P
|
p
|
|
+
|
gs
|
Conclusion : projet d’augmentation du pouvoir d’agir pour un groupe qui inclut le sujet.
|
51On
peut noter, à partir de ces exemples, que le contenu de l’explication du
sujet ne permet pas toujours de coder l’ensemble des termes (cf. par
exemple, MA12 ou encore CSR44 : « valeur » non précisée).
À partir d’autres exemples, on pourrait constater qu’une explication
peut contenir plusieurs propositions référant à des éléments qu’il
convient de distinguer : si tel est le cas, chacune des
propositions fait alors l’objet d’un codage différencié en termes de ce
qui concerne les capacités ou pouvoir d’agir afin de prendre en compte
l’ensemble de ce qui est exprimé dans la réponse. Dans les explications
ici présentées, on constate que la capacité d’agir s’exprime en termes
de formation, connaissances, alors que le pouvoir d’agir est lié aux
ressources en relation aux situations, qui s’exprime au travers de
ressources distinctes (le temps, le budget, les outils et instruments de
travail).
- 5 Rappelons que la dimension « sentiment d’efficacité personnelle » n’est pas non plus considérée pou (...)
- 6 Nous avons inclus sous cette dimension l’item CPA 19 compte tenu qu’il apparaissait suffisamment ho (...)
52Lorsqu’on
met en relation « capacités d’agir » et « pouvoir
d’agir » avec les dimensions structurant le QPA, le constat est que
le pouvoir d’agir et la capacité d’agir interviennent de manière
différente selon la dimension considérée. Le Tableau 4 montre le nombre
d’explications codées ayant trait aux capacités et pouvoir d’agir, ainsi
que leur poids relatif pour cinq dimensions du QPA5.
Les trois quart des réponses correspondent à des verbalisations
référant au pouvoir d’agir et un quart référant aux capacités d’agir
(343/116). Le pouvoir d’agir contribue plus fortement au « contrôle
perçu »6, à
la « conscience critique » et à « l’évaluation des
bénéfices de l’action collective » ; la « motivation à
agir » regroupe majoritairement des verbatim reliés au pouvoir
d’agir, mais une grand part d’entre eux est aussi en rapport avec la
capacité à d’agir. L’« évaluation des bénéfices de l’action
personnelle » fait quant à elle majoritairement référence à la
capacité d’agir. Mais les occurrences sur ce thème ne représentent que
34 sur 459 soit environ 8 % du total.
Tableau 4 Croisement des
« capacités d’agir » et « pouvoir d’agir » avec les
dimensions structurant le QPA (pourcentages et nombre d’occurrences)
|
EBAC Évaluation des bénéfices de l’action collective
|
EBAP Évaluation des bénéfices de l’action personnelle
|
MA Motivation à agir
|
CP Contrôle perçu (incluant l’item CPA, compétence à la participation)
|
CC Conscience critique
|
|
(2 items, 38 occurrences)
|
(3 items, 34 occurrences)
|
(4 items, 164 occurrences)
|
(6 items, 127 occurrences)
|
(10 items, 96 occurrences)
|
Pouvoir d’agir Total : 343 occurrences
|
89,5 % 34
|
38 % 13
|
59 % 97
|
90,5 % 115
|
87,5 % 84
|
Capacités d’agir Total : 116 occurrences
|
10,5 % 4
|
62 % 21
|
41 % 67
|
9,5 % 12
|
12,5 % 12
|
53Capacités
et pouvoir d’agir sont des concepts indissociables, car la capacité est
une ressource mobilisée dans l’agir. Ce premier résultat d’ensemble
montre toutefois que le prisme des dimensions du QPA saisit d’une
manière non équivalente capacités et pouvoir d’agir pour les acteurs
considérés. Il s’agit alors de comprendre comment ils s’expriment, à
travers la thématique des questions proposées : une analyse
qualitative peut permettre de répondre à cette question.
54L’analyse
qualitative des données d’entretien, en ce qui concerne les capacités
et pouvoir d’agir, permet de dégager des thématiques distinctes pour
chacune des dimensions. Nous en présentons les principales conclusions
ci-après.
55Dans
le contexte du travail, la dimension EBAC fait référence aux bénéfices
tirés de la mise en place de structures de travail collectives (telles
que le comité de progrès dans l’entreprise où est menée l’étude) et,
plus largement, des échanges collectifs qui favorisent le développement
des capacités à faire advenir ensemble des solutions. Ces espaces de
dialogue sont considérés comme des occasions de traiter différentes
questions concrètes qui favorisent la prise en compte des besoins. La
mise en œuvre des idées produites contribue à développer le pouvoir
d’agir comme le mettent en avant les acteurs. Le processus de remontée
des informations participe à l’accroissement du pouvoir d’agir, pour les
managers, car ils peuvent avoir accès à des réalités auxquelles ils
n’auraient pas accès autrement, tout comme pour les opérationnels :
la remontée d’informations est une possibilité offerte à l’expression,
et grâce à ce dispositif, ils estiment que leur pouvoir d’agir s’est
accru, même si des temps de latence peuvent être parfois constatés entre
propositions, demandes et actions (typiquement les conditions
financières ne sont pas toujours réunies pour mettre en place rapidement
les solutions : le pouvoir d’agir reste alors empêché). Les
formulations associées aux explications relatives au pouvoir d’agir
réfèrent tout aussi bien au groupe ou à soi-même. On constate que cette
perception globalement positive des capacités et pouvoir d’agir peut
être parfois pondérée par une insuffisance de ressources fournies par
l’entreprise (9 occurrences sur 38) limitant les bénéfices de l’action
collective. Elle peut se traduire, par exemple pour la réponse d’un
sujet sur l’EBAC 3, par des demandes d’heures complémentaires afin de
permettre de s’occuper de la prévention, car les emplois du temps sont
bien trop chargés. Des demandes de formation, référant à la capacité
d’agir, peuvent de même être formulées (cf. cas également sur l’EBAC 3)
car l’implication avec d’autres collègues ne suffit pas à améliorer la
santé, sécurité et conditions de travail : « Le problème est
le manque de formation des intérimaires, quand on manque de personnel,
la polyvalence est une bonne chose ». Établir un collectif de
travail en vue d’un pouvoir d’agir plus grand suppose donc aussi de
développer les capacités des acteurs.
56La
participation de chacun aux activités collectives est supposée avoir des
impacts sur l’action collective : la mesure de la perception du
bénéfice de l’action individuelle et collective a donc été élaborée
selon ce continuum pour établir les items sur cette dimension (Le Bossé,
Dufort et Vandette, 2004, op. cit.). Dans nos données d’entretien,
cette dimension s’exprime avant tout en matière de capacités :
grâce à leur contribution et/ou à leur participation aux initiatives
dans le domaine de la santé, sécurité et conditions de travail, les
acteurs estiment majoritairement que leurs connaissances se sont
développées. Contribuer à la mise en place d’une initiative pour les
autres salariés de son entreprise peut être une bonne façon de
développer son savoir-faire dans son domaine comme le souligne un
acteur : « Si on met en place une initiative, on connaît le
sujet, donc on est apte. Avec ma formation de chimiste, ça m’a permis de
renforcer mes connaissances, notamment sur des choses qu’on ne fait pas
souvent » (EBAP 36). Participer à des formations ou initiatives
permet de développer des connaissances en vue d’adopter des
comportements plus sécuritaires comme le laissent entendre ces réponses à
l’EBAP 25 : « Ça nous apprend sur notre santé et celle des
autres » ; « rien que d’installer les panneaux, on les
lit, on les regarde, on essaie de les mettre au bon endroit ». Le
bénéfice est exprimé par les acteurs au titre de soi-même ou au titre du
groupe : « Dans les mises en situation sous la décision du
chef d’exploitation – simulation d’accidents sur site, d’une chute dans
le bureau – le partage se fait par débriefing : c’est bénéfique
pour tout le monde » (EBAP 25). Ces initiatives favorisent aussi
l’implication dans le collectif comme le suggère cette salariée
appartenant au comité de progrès : « Ça me permet de
m’investir dans la vie de la société, d’être avec les gens. On aura
toujours des initiatives de par le comité de progrès ».
57Lorsque
cette dimension s’exprime en matière de pouvoir d’agir, les acteurs
mettent en avant que ces actions de sensibilisation constituent ainsi
des conditions favorables pour faciliter les échanges et l’entraide,
partager des problèmes dans le but d’avancer, de se déstresser, de
mettre concrètement en place des solutions dans les situations de
travail : « Plus on sait, plus on prend conscience, plus on
peut mettre en place des choses. » (EBAP 36). Grâce à la mise en
œuvre des dispositifs de sensibilisation, d’information et de formation,
tous les acteurs estiment que leurs capacités et leur pouvoir d’agir
sont suffisants ou encore en augmentation, sauf exception pour cet
acteur qui ne souhaite pas apporter sa contribution : « Je ne
fais rien avec personne, c’est pour cela que j’ai choisi de conduire un
camion. » Des souhaits de nouvelles formations (par exemple sur les
produits dangereux) apparaissent de manière exceptionnelle sous cette
dimension (1 occurrence sur 34 réponses exploitables).
58Adaptée
au contexte du travail, la « motivation à agir » est en
relation avec les mobilisations propres du sujet dans son rapport aux
problèmes de santé, sécurité et conditions de travail dans l’entreprise.
59Les
occurrences qui se rapportent aux capacités d’agir, relativement
importantes pour la motivation à agir, font référence essentiellement à
la formation, pour soi-même ou bien encore pour les autres :
« Il faudrait les former à faire attention lors des manipulations.
Les seules formations actuelles portent sur la connaissance des
étiquettes » soulève un des managers (MA12). La formation permet
d’améliorer les compétences et potentiellement d’agir pour la
prévention. Des demandes sont faites relativement à des connaissances
spécifiques du domaine à la suite parfois du constat de problèmes précis
pour lesquels les acteurs ne s’estiment pas capables (demande de
formation sur les produits chimiques, sur la manipulation des déchets,
sur les matières dangereuses, sur le stress, sur l’ergonomie des postes
de travail, sur le secourisme, etc.). Sont exprimés aussi des projets
qui concernent des activités formatrices. Seuls quelques rares acteurs
considèrent leurs capacités d’agir suffisantes, car leurs besoins ont
été notamment comblés par les initiatives en santé, sécurité et
conditions de travail mises en place dans l’entreprise.
60Lorsque
la motivation à agir est exprimée en matière de pouvoir d’agir, les
acteurs font référence aux actions possibles ou projetées
prochainement : « Je peux améliorer un certain nombre
d’éléments, le stress en particulier. » (MA13). Mais les acteurs
expriment le plus souvent en parallèle que ces actions dépendent de
conditions nécessaires (dispositifs matériels, organisationnels,
personnel supplémentaire, disponibilité temporelle, accès aux
informations, etc.). Des demandes d’accroissement du pouvoir d’agir sont
formulées pour soi-même, mais aussi pour le groupe : « Il
faut souder les personnes entre les différents services, être au courant
de ce que fait l’autre » ; « il faut faire des choses
qui montrent que l’on prend en compte la remontée d’informations. »
Les acteurs expliquent parfois comment ils procèdent, depuis leur
position institutionnelle, pour améliorer la sécurité et prévenir les
risques : « Je vais voir le chef d’exploitation qui a les
informations utiles. » Des constats sont faits sur l’existence, la
pertinence des informations, la possibilité ou non de les obtenir, les
différentes sources possibles pour y accéder, etc. D’autres font état
d’un accroissement de leur pouvoir d’agir grâce à la participation aux
structures collectives « Je me suis mise dans le comité de
progrès pour améliorer ces choses-là. » En parlant de leur
motivation à agir, les sujets évoquent donc différents thèmes liés à la
formation, à l’information, aux systèmes d’information mis en place pour
la prévention, et insistent sur les ressources nécessaires pour agir
dans le domaine de la prévention. Ce qui mobilise le sujet à agir pour
la prévention ne peut donc être envisagé indépendamment des ressources
qui contribuent à le rendre capable de s’engager dans l’action.
61Le
« contrôle perçu » est relié aux possibilités perçues d’action
compte tenu des ressources, contraintes et des interactions entre
l’autorisé et le requis dans ce domaine.
62Il s’exprime essentiellement sous la dimension pouvoir d’agir.
63Pour
le contrôle perçu, c’est surtout le manque de temps et la charge de
travail qui contribuent à diminuer le sentiment de contrôle perçu. Les
constats d’insuffisance de pouvoir d’agir sont importants, et le manque
de temps les explique en grande part. La préoccupation concernant le
temps est présente dans toutes les explications, qu’elle soit
directement interpellée ou non par la question. La charge de travail,
qu’elle soit liée aux tâches habituelles ou en lien avec les activités
de santé, sécurité et conditions de travail, est perçue comme une
contrainte restreignant le pouvoir d’agir : « Si on est en
retard, on ne pense qu’à faire le travail qu’il y a ; il y a le
stress… » (CP14). Les dispositifs techniques et organisationnels
sont aussi présentés comme des exemples illustrant un pouvoir d’agir
suffisant ou au contraire un pouvoir d’agir insuffisant et, dans ce cas,
les manques constatés sur ces ressources nécessiteraient des actions
indispensables pour accroître le pouvoir d’agir : « C’est
difficile d’obtenir des informations ; il y a une déléguée du
personnel depuis une semaine. Elle n’a pas d’informations sur les
déchets sur le site et sur ses conséquences pour la santé. »
(CP15). Les explications portant sur les capacités d’agir sont beaucoup
plus rares sur cette dimension, et portent notamment sur la formation
comme on le constate dans la seconde partie de cette
réponse « Je n’ai pas de temps à prendre, mais je voudrais
toutefois apprendre les gestes de secours. » (CP 13).
64Pour
cette dernière dimension, les constats de pouvoir d’agir insuffisants
sont majoritaires (63 occurrences sur 96) et s’expriment prioritairement
en référence à soi, mais aussi en large part en référence au groupe
(dans lequel le sujet s’inclut ou non). Les explications qui s’y
rapportent mettent en valeur les contraintes des environnements de
travail ou des aspects spécifiques des situations de travail sur
lesquels les acteurs peuvent ou non exercer une influence pour œuvrer
pour la prévention. Par exemple, à la question CSR11, les réponses
traduisent les limites au pouvoir d’assurer la sécurité et la santé de
ses collègues quelles que soient les conditions du travail :
« On ne peut pas être partout. Le site à surveiller est grand et il
y a beaucoup de va-et-vient dans la cour. » Plus globalement, les
limites du pouvoir d’agir sont relatives aux contraintes budgétaires et
temporelles, et à l’insuffisance des ressources humaines. Les acteurs
établissent les conditions qui seraient nécessaires pour favoriser la
santé, sécurité et conditions de travail, car elles ne sont pas toutes
réunies dans l’entreprise pour agir comme ils le souhaiteraient. Des
demandes ou projets d’augmentation du pouvoir d’agir, en particulier
pour le groupe, sont exprimés, et peuvent typiquement porter sur les
investissements à faire : « Il faut modifier les outils de
travail pour une mise en conformité du matériel. » (CSR44). Lorsque
les acteurs s’expriment en matière de suffisance de pouvoir d’agir, on
peut observer que l’influence de la dimension organisationnelle apparaît
moindre, car c’est la responsabilité individuelle qui est mise en
avant : « Mon travail dépend de moi, pas des autres. C’est moi
qui suis responsable » (CS17) ; mais à cette occasion, des
acteurs peuvent aussi pointer sur l’importance de la dimension
collective en reconnaissant leurs propres limites : « C’est
mon rôle de répondre aux besoins de la santé, sécurité et conditions de
travail, mais ce n’est pas toujours évident d’expliquer aux autres.
C’est quelque chose de collectif, on trouve des solutions ensemble, avec
les deux chimistes. » (CS12).
65En
ce qui concerne la capacité d’agir, les occurrences peu fréquentes (12
occurrences au total) concernent pour la moitié des cas des demandes
d’accroissement des capacités d’agir : les acteurs souhaitent
développer les capacités d’agir tout aussi bien pour eux que pour le
groupe, souvent parce qu’elles sont estimées insuffisantes. Ils
expriment que ce développement passe en particulier par la formation
(« Après les travaux, il faut faire les formations », CSR41)
ou bien encore, par exemple, par des temps d’explications avec les
autres considérés comme essentiels. Les réponses obtenues aux items de
la conscience critique témoignent aussi de la diversité des
représentations qu’ont les acteurs pour améliorer la santé, sécurité et
conditions de travail : pour certains, elle est limitée aux
exercices de situation d’urgence, alors que pour d’autres elle doit
aller au-delà : « Il n’y a pas que la prévention, il faut
trouver autre chose. » (CSR44). Les acteurs estiment rarement que
les capacités d’agir sont suffisantes (3 occurrences seulement) ;
si tel est le cas, ils estiment typiquement que la priorité relative à
la santé, sécurité et conditions de travail est comprise par tous dans
l’entreprise (et donc ils estiment que le développement de nouvelles
capacités n’est pas nécessaire).
66En
conclusion, chacune des dimensions structurant le QPA éclaire sur des
aspects distincts de l’activité en liaison avec les ressources (internes
ou externes) pour l’activité, même si des thématiques sont
transversales. L’analyse qualitative des explications contribue à
apporter des éléments explicatifs sur les capacités et pouvoir d’agir
des acteurs en rapport avec les systèmes de gestion de la santé,
sécurité et conditions de travail. Ce qui est saisi à travers les
données d’entretiens n’est pas sans relation avec les dimensions
structurant le QPA, même si l’univers conceptuel de référence en
arrière-plan n’est pas le même.
67Les
acteurs interrogés dans notre étude ne se positionnent pas tous de la
même manière sur une dimension du QPA donnée lorsqu’on examine les
scores obtenus : soit, ils se regroupent massivement sur le pôle
positif du pouvoir d’agir (compte tenu de leurs scores relativement
élevés), soit ils se dispersent davantage sur l’échelle de la mesure du
pouvoir d’agir.
-
Les dimensions EBAC et EBAP ne
permettent pas de discriminer les sujets puisque leurs réponses sont
quasiment identiques. Les scores obtenus traduisent une perception
positive des bénéfices de l’action personnelle et collective pour
92 % des sujets. La dimension « sentiment d’efficacité
personnelle » (SEP) n’est pas non plus discriminante pour les
sujets : une très large majorité de sujets (19/21) s’estiment
« capables » pour au moins trois questions sur quatre, et
douze d’entre eux s’estiment « capables » pour l’ensemble des
questions et avec une certitude élevée (allant de 7 à 10).
-
Les dimensions restantes
(« motivation à agir, « contrôle perçu » et celles
relatives à la « conscience critique ») apparaissent en
revanche discriminantes pour les acteurs, puisqu’ils se positionnent de
manière différente sur l’échelle de mesure du pouvoir d’agir. Ces
différences peuvent donc nous permettre d’affiner les analyses par
comparaisons.
68Un
moyen de progresser dans l’étude des relations entre les dimensions
structurant le QPA et les catégories d’analyse qui ont trait aux
capacités d’agir et au pouvoir d’agir est de se pencher sur ces
positionnements différents : sur quoi portent les contrastes
lorsqu’on analyse qualitativement les données d’entretien associées à
ces scores ? En d’autres termes, en quoi l’analyse des explications
relativement aux capacités et pouvoir d’agir corrobore ou non les
notations attribuées par les sujets ?
69Les
contrastes sont intéressants pour mettre en évidence des phénomènes qui
apparaissent sinon plus difficilement. Les deux dimensions sur
lesquelles nous nous penchons pour cette analyse sont le « contrôle
perçu » et la « conscience critique », car elles
regroupent pour l’essentiel des occurrences référant au pouvoir d’agir.
L’analyse vise à examiner des sujets contrastés du point de vue des
scores relativement à la valeur du pouvoir d’agir qu’ils expriment dans
leurs explications (suffisance ou insuffisance).
70Nous
avons ainsi comparé les sujets présentant les scores les plus élevés
(groupe 1) avec ceux présentant les scores les plus faibles (groupe 2)
pour chacune de ces dimensions ; le différentiel est de dix points
sur le score total entre le sujet qui présente le score le moins fort
dans le premier groupe et celui qui obtient le score le plus faible dans
le deuxième groupe (ceci pour les deux dimensions). Les sujets retenus
se contrastent sur leurs notations item par item (représentant un accord
ou un désaccord avec un item donné). Ainsi :
-
pour la dimension « contrôle
perçu », les sujets qui présentent les scores les plus élevés sont
ceux qui ont exprimé un désaccord à un item maximum sur six au total,
alors qu’ils présentent un fort accord pour les autres items. À
l’inverse, les sujets qui présentent les scores les moins élevés sont
ceux qui ont exprimé un accord à deux items maximum sur six et qui
expriment un désaccord pour les autres items ;
-
pour la dimension
« conscience critique », les sujets retenus présentent une
notation correspondant à un désaccord pour trois items maximum sur dix
au total (pour le groupe présentant les scores les plus élevés) et
inversement pour le groupe présentant les scores les moins élevés
(notation correspondant à un accord pour trois items maximum sur dix).
71Ces
critères de sélection font que l’analyse des contrastes porte sur huit
sujets sur vingt-et-un pour chacune des dimensions examinées.
72Toutefois,
les phénomènes observés à partir des contrastes ne sont pas
nécessairement représentatifs de ce qui se passe pour les autres acteurs
situés entre-deux : nous compléterons donc l’analyse par un examen
d’ensemble afin d’en dégager les principales tendances.
73Le
tableau 5 montre que les acteurs qui présentent les scores les moins
élevés sur la dimension « contrôle perçu » font avant tout
état d’un pouvoir d’agir insuffisant (17 occurrences sur 25). À
l’inverse, les acteurs qui présentent les scores les plus élevés sur
cette dimension sont ceux qui estiment leur pouvoir d’agir suffisant (16
occurrences sur 17). Les scores se rapprochant dans ce cas d’un extrême
positif (scores compris entre 21-24 sur 24 points) conduisent à une
attribution de valeur sur le pouvoir d’agir plus marquée.
Tableau 5 Croisement de
la valeur du pouvoir d’agir avec les scores obtenus au « contrôle
perçu » à partir des contrastes
|
Scores les plus élevés sur le contrôle perçu (CP compris entre 21 et 24/24) N =4
|
Scores les moins élevés sur le contrôle perçu (CP compris entre 11 et 15/24) N = 4
|
Constat de pouvoir d’agir insuffisant
|
1
|
17
|
Constat de pouvoir d’agir suffisant
|
16
|
8
|
74Le
tableau 6 montre que les acteurs qui présentent les scores les plus
élevés sur la dimension « conscience critique » expriment pour
l’essentiel des constats de pouvoir d’agir insuffisant (22 occurrences
sur 23). Seule une occurrence ayant trait à un constat de pouvoir d’agir
suffisant est relevée. Le constat de pouvoir d’agir insuffisant traduit
le fait que les acteurs, en discernant les limites de leur activité en
regard de la santé, sécurité et conditions de travail, sont conscients
de tout ce qu’il reste à faire et à organiser pour améliorer la
prévention. Par exemple, le sujet qui présente le score le plus élevé
sur la conscience critique pointe sur l’importance de multiplier les
actions existantes dans l’entreprise, d’analyser davantage les
informations ; il questionne la réglementation qui n’est pas
forcément adaptée, il met en avant le problème du temps, de la charge de
travail pour soi ou pour le groupe qui est une limite pour œuvrer dans
cette perspective.
75Les
acteurs qui présentent les scores les moins élevés se différencient par
des explications traduisant une perception d’un pouvoir d’agir
suffisant (12 occurrences sur 21), même si l’on retrouve également dans
ce cas des constats de pouvoir d’agir insuffisant (la moyenne des scores
des quatre sujets considérés avoisinant 20 sur 40 points au total). Ces
acteurs estiment typiquement que l’entreprise a déjà fait beaucoup et
ils ne voient pas ce que l’on pourrait faire de plus lorsqu’on les
interroge sur ce sujet, ou bien encore ils relativisent les accidents de
travail sur le site, qu’ils estiment peu nombreux, etc.
76Il
est intéressant de remarquer que, lorsqu’on fait porter l’analyse sur
les capacités, on observe pour la dimension « conscience
critique » que ces deux groupes se distinguent sur le constat de
capacités d’agir insuffisantes (pour soi-même ou pour le groupe). Ce
constat apparaît chez les sujets présentant les scores les plus élevés,
bien qu’il reste relativement ponctuel.
Tableau 6 Croisement de
la valeur du pouvoir d’agir avec les scores obtenus à la
« conscience critique » à partir des contrastes
|
Scores les plus élevés sur la conscience critique (CC comprise entre 29 et 35/40) N =4
|
Scores les moins élevés sur la conscience critique (CC comprise entre 19 et 22/40) N =4
|
Constat de pouvoir d’agir insuffisant
|
22
|
9
|
Constat de pouvoir d’agir suffisant
|
1
|
12
|
-
Analyse des cas intermédiaires
sur la dimension « contrôle perçu » puis sur la dimension
« conscience critique »
77Pour
la dimension « contrôle perçu », lorsqu’on examine les autres
acteurs présentant une position intermédiaire (i.e. scores compris
entre 16 et 20 pour le contrôle perçu), on remarque que, pour tous
sujets confondus (13 sujets moins un pour lequel nous ne disposons pas
d’explications), les constats d’insuffisance et de suffisance du pouvoir
d’agir s’équilibrent pour l’ensemble des items (35 occurrences pour un
constat de pouvoir d’agir insuffisant, contre 31 occurrences pour un
constat de pouvoir d’agir suffisant).
78Pour
la dimension « conscience critique », lorsqu’on examine de
même les autres acteurs situés entre les positions les plus contrastées
(i.e. scores situés entre 23 et 28), le constat est un peu différent que
précédemment sur le « contrôle perçu » : pour tous les
sujets confondus (13 sujets, moins 3 pour lesquels nous ne disposons pas
d’explications), les constats d’insuffisance de pouvoir d’agir sont
plus nombreux (38 occurrences contre 21 au total). Les scores obtenus
pourraient constituer un élément d’explication, car ils tendent à se
rapprocher des scores les plus élevés (6 scores sur 10 sont entre 27 et
28 points). L’examen des réponses, sujet par sujet, semble toutefois
montrer moins clairement des tendances comme on pouvait les observer
dans le cas du « contrôle perçu » : par exemple, un des
sujets, bien qu’il présente un score plutôt élevé sur la dimension
« conscience critique » (score = 28), estime que son
pouvoir d’agir est majoritairement suffisant (6 occurrences contre une
relatant un pouvoir d’agir insuffisant), alors que l’on pourrait
s’attendre à davantage de constats d’insuffisance du pouvoir d’agir.
Tableau 7 Croisement de
la valeur du pouvoir d’agir avec les scores obtenus au « contrôle
perçu » puis à la « conscience critique » pour les cas
intermédiaires
|
Scores intermédiaires sur le contrôle perçu (CP compris entre 16 et 20/24) N = 12
|
Scores intermédiaires sur la conscience critique (CC comprise entre 23 et 28/40) N = 10
|
Constat de pouvoir d’agir insuffisant
|
35
|
38
|
Constat de pouvoir d’agir suffisant
|
31
|
21
|
79En
conclusion, ces résultats, qui partent des scores les plus élevés versus
les moins élevés pour aller vers l’examen des cas intermédiaires, vont
globalement dans le sens d’une cohérence entre les scores issus des
dimensions structurant le QPA et l’analyse qualitative en ce qui
concerne le pouvoir d’agir. Cet examen est un nouvel élément montrant
l’existence d’une relation entre ce que ces dimensions sont censées
mesurer et ce qui est exprimé en matière de pouvoir d’agir par les
acteurs. Il est intéressant de relever que, pour le « contrôle
perçu », le constat d’insuffisance ou de suffisance est exprimé
essentiellement par rapport à soi alors que pour la « conscience
critique », l’attribution de la valeur réfère tout aussi bien à
soi, à autrui, ou au groupe (qui inclut ou non le sujet). Cette
observation semble en cohérence avec les concepts qui sous-tendent les
dimensions du QPA : « le contrôle perçu » est en rapport
avec une dimension intrapersonnelle, alors que le phénomène de
conscientisation est généralement associé à une démarche collective.
80Une
dernière analyse consiste à rapprocher le « contrôle perçu »
(CP) de la « motivation à agir » (MA) : ces dimensions,
incluses sous la dimension intrapersonnelle de l’empowerment dans le
questionnaire QPA, ne sont pas en effet sans relation l’une à l’autre.
De plus, ce croisement interne permet de nous pencher sur la mise en
rapport entre capacités d’agir et pouvoir d’agir, les occurrences sur la
capacité d’agir apparaissant en grand nombre sur la dimension
« motivation à agir ».
81Le
tableau 8 présente les résultats obtenus à partir des positions des
acteurs les plus contrastées, c’est-à-dire que l’on retient dans ce cas
uniquement les sujets présentant un score élevé ou peu élevé sur la
motivation à agir, élevé ou peu élevé sur le contrôle perçu. Un score
est dit « élevé » sur la « motivation à agir »
lorsqu’il est supérieur ou égal à 15 (sur 16 points au total) et que les
sujets sont en accord avec au moins 3 items sur 4 ; un score est
dit « peu élevé » lorsqu’il est inférieur ou égal à 10 points
sur 16, et que l’accord porte au maximum sur 2 items. Pour le contrôle
perçu, le critère est le même que celui présenté en point VII.2.5. Les
points les plus saillants de ces résultats, par comparaison des acteurs,
sont mentionnés en caractères gras dans le tableau.
82Neuf
sujets présentent des scores contrastés sur les deux dimensions
examinées, mais seulement huit peuvent rentrer dans cette analyse
puisque nous ne disposons pas d’explications pour l’un d’entre eux.
« Capacités d’agir » et « pouvoir d’agir » sont
examinés au croisement de ces deux dimensions.
Tableau 8
« Capacités d’agir » et « pouvoir d’agir » au
croisement du « contrôle perçu » et de la « motivation à
agir » à partir des contrastes
|
Scores élevés sur le contrôle perçu (CP compris entre 21 et 24/24)
|
Scores peu élevés sur le contrôle perçu (CP compris entre 11 et 15/24)
|
Scores élevés sur la motivation à agir (MA comprise entre 15 et 16/16)
|
N = 2 (12 occurrences) 1 constat de pouvoir d’agir insuffisant. 5 constats de pouvoir d’agir suffisant et en augmentation. 4 demandes d’accroissement du pouvoir d’agir.
|
N = 3 (41 occurrences) 10 constats de pouvoir d’agir insuffisant. 12 constats de pouvoir d’agir suffisant (dont 4 en augmentation). 6 demandes d’accroissement du pouvoir d’agir.
|
2 constats d’accroissement des capacités d’agir.
|
2 constats de capacités d’agir insuffisantes. 1 constat de capacités d’agir suffisantes. 10 demandes d’accroissement des capacités d’agir.
|
Scores peu élevés sur la motivation à agir (MA comprise entre 7 et 10/16)
|
N = 1 (10 occurrences) 1 constat de pouvoir d’agir insuffisant. 6 constats de pouvoir d’agir suffisant. 1 refus d’accroissement du pouvoir d’agir.
|
N = 2 (18 occurrences) 11 constats de pouvoir d’agir insuffisant. 1 demande d’accroissement du pouvoir d’agir. 2 refus d’accroissement du pouvoir d’agir.
|
2 constats de capacités d’agir insuffisantes.
|
1 constat de capacités d’agir suffisantes. 1 constat de capacités d’agir insuffisantes. 2 refus d’accroissement des capacités d’agir.
|
83Tout
d’abord, on constate que les deux sujets qui présentent des scores
élevés à la fois sur la « motivation à agir » et le
« contrôle perçu » estiment avant tout que leurs capacités
d’agir et pouvoir d’agir sont conséquents et en augmentation pour agir
dans le champ de la santé, sécurité et conditions de travail. Leur forte
motivation contribue à un certain regard critique : leur souhait
d’amélioration continue du système de prévention s’exprime ainsi au
travers des demandes d’accroissement de leur pouvoir d’agir pour
l’avenir dans ce domaine.
84À
l’inverse, les deux sujets qui présentent des scores moins élevés sur
ces deux dimensions estiment que leur pouvoir d’agir est insuffisant, et
leur préoccupation est essentiellement de pouvoir faire face à la
réalisation de leur travail quotidien. On observe de ce fait la présence
de refus d’accroissement de capacités et de pouvoir d’agir (4
occurrences sur 18) dans le domaine de la santé, sécurité et conditions
de travail. Une seule demande d’accroissement du pouvoir d’agir est
exprimée.
85Et,
lorsque les scores obtenus sur la motivation à agir sont élevés alors
que ceux obtenus sur le « contrôle perçu » le sont moins
(N = 3), les demandes d’accroissement du pouvoir d’agir et des
capacités d’agir caractérisent leurs réponses, car ils sont considérés
comme insuffisants actuellement pour œuvrer dans le domaine de la santé,
sécurité et conditions de travail. Exceptionnellement (cas d’un seul
sujet), lorsque se présente le cas inverse, articulant une motivation
relativement peu élevée (score = 10/16) avec un contrôle perçu
élevé (21/24), le pouvoir d’agir apparaît suffisant (et il y a refus de
l’augmenter) relativement à la motivation à agir qui est exprimée pour
agir dans ce domaine.
86Ces
premières tendances à partir des positions contrastées sont
intéressantes à observer, et bien qu’elles portent sur seulement
quelques sujets, elles permettent à nouveau d’observer la nature des
relations entre dimensions structurant le QPA et catégories d’analyse
qui ont trait aux capacités et pouvoir d’agir. Lorsqu’on se penche sur
les autres sujets (N = 12), on constate que :
-
les sujets qui ont un score élevé
sur la « motivation à agir » (N = 4), mais qui
présentent un score dit « moyen » sur le « contrôle
perçu », pointent sur l’insuffisance de leur pouvoir d’agir (11
occurrences sur 21 pour cette seconde dimension) ; le seul sujet
qui présente un score dit moyen sur la « motivation à agir »,
mais un « contrôle perçu » élevé, exprime que son pouvoir
d’agir est suffisant et en augmentation, mais demande un accroissement
de ses capacités d’agir (relativement à l’item MA12) ;
-
les sujets qui présentent à la
fois un score moyen sur la « motivation à agir » et sur le
« contrôle perçu » (N = 7) pointent sur
l’insuffisance à la fois de leur capacités et pouvoir d’agir (36
occurrences sur 75 pour les deux dimensions considérées).
87Le
QPA a été élaboré en vue d’explorer de nouveaux outils à même de porter
un diagnostic sur les systèmes de management pour la santé, sécurité et
conditions de travail. Le QPA est à la fois un outil d’appréciation du
pouvoir d’agir et un support d’entretien en référence à l’activité
présentant beaucoup d’intérêt. Il amène les acteurs en santé, sécurité
et conditions de travail à parler de leurs situations concrètes de
travail et ceci dans des temps d’intervention relativement courts.
L’intérêt est qu’il permet de relever un certain nombre de
problématiques dont l’exploration peut être prolongée par d’autres types
d’analyses complémentaires (de type MDSR par exemple) pour examiner
plus finement les ressources pour l’agir. Le QPA peut donc être utilisé
comme un outil de type diagnostic permettant de dresser un état des
lieux des perceptions des acteurs, à un moment donné de leur histoire.
Il faut toutefois souligner certaines réserves d’usage de ce nouvel
artefact lorsqu’on analyse les données en matière de « pouvoir
d’agir » et de « capacités d’agir » pour mener une
approche analytique de ces concepts. Toute élaboration d’un nouvel outil
est une opération lourde qui suppose de développer simultanément de
nouveaux objets d’activités, de nouveaux artefacts et de nouvelles
modalités d’usage. Le nouvel objet d’activité est, ici, l’analyse du
pouvoir d’agir et des capacités d’agir, qui est en soi un objet de
recherche scientifique ; le nouvel artefact est constitué par le
QPA. Une première expérience élargie de l’usage du QPA en vue
d’investiguer le pouvoir d’agir des acteurs en santé, sécurité et
conditions de travail sur un panel d’entreprises variées (Langa,
Gouédard et Rabardel, 2008b, op. cit.) montre que l’examen du
codage sur les dimensions capacités et pouvoir d’agir ne va pas de soi.
Le codage réalisé par différents intervenants, confrontés à ce nouvel
outil, souligne toute l’importance de développer des schèmes
suffisamment partagés pour que les données codées soient analysables par
confrontation. Ceci renvoie au problème d’interprétation inhérent à
toute analyse qui dépasse donc plus largement ce cadre. Mais il est
clair qu’au-delà de l’apparente simplicité de l’outil, l’analyse
systématique du pouvoir d’agir s’inscrit dans un processus encore en
devenir, ce qui rend l’usage d’un tel outil plus complexe. S’il est
prudent d’émettre des réserves d’usage de ce codage, les données
qualitatives peuvent en revanche se prêter sans difficulté à des
analyses de contenu plus classiques.
88La
transposition du questionnaire MIPPA en QPA dans le domaine de la santé,
sécurité et conditions de travail apparaît concluante. La validité
interne du questionnaire est établie par la congruence entre les données
métriques et qualitatives. Ce résultat est important sur deux
points :
-
l’usage de la seule partie
métrique pour des études rapides sur des populations importantes est
envisageable comme développement de la méthodologie. Il pourrait par
exemple être envisagé pour suivre l’évolution des capacités et du
pouvoir d’agir de populations dans le temps ou comparer synchroniquement
des populations. Il sera cependant nécessaire de réaliser au préalable
des contrôles de validation externes sur des effectifs expérimentaux
correspondant à plusieurs centaines de salariés ;
-
cette transposition validée dans
le champ de la santé, sécurité et conditions de travail permet
d’envisager la transposition dans d’autres champs de recherche ou
d’intervention. La méthode employée pour transposer en santé, sécurité
et conditions de travail pouvant servir de guide pour opérer d’autres
transpositions. Les champs où la question des ressources du sujet ou des
collectifs est importante seront sans doute, dans un futur proche, les
plus heuristiques.
89Un
second type de conclusion concerne l’intérêt de la différenciation entre
capacité et pouvoir d’agir proposée par le cadre théorique du
« sujet capable ». L’analyse des données qualitative met en
évidence que cette différenciation est pertinente pour les sujets
eux-mêmes : les trois quarts des verbatim sont orientés pouvoir
d’agir et un quart capacité d’agir. Ce résultat est à verser au débat
avec le cadre clinique de l’activité qui n’opère pas cette distinction.
90Le
QPA associant l’échelle MIPPA transposée au recueil de données
qualitatives en référence à l’activité permet des analyses fines des
capacités et pouvoirs d’agir croisées avec les dimensions MIPPA. Les
questions relatives aux trois dimensions « contrôle perçu »,
« conscience critique » et « évaluation des bénéfices de
l’action collective » entraînent des verbatim très majoritairement
centrés sur le pouvoir d’agir. Les questions relatives à
« l’évaluation des bénéfices de l’action personnelle » et à la
« motivation à agir » étant les plus productives en ce qui
concerne la capacité d’agir.
91La
méthodologie proposée permet d’analyser finement des dimensions
jusqu’ici peu explorées du pouvoir et des capacités d’agir : leur
dynamique évolutive dans le temps, leur valeur et position du point de
vue du sujet, leurs dimensions individuelles et de groupe.
92Notre
dernière conclusion portera sur les rapprochements possibles entre les
cadres théoriques qui coexistent dans le champ du pouvoir d’agir.
L’opération que nous avons réalisée montre que des liens notables
existent sur le plan empirique entre les données issues du cadre du
« développement du pouvoir d’agir » et celles issues du cadre
du « sujet capable ». Cela ne rend pas les cadres moins
hétérogènes sur le plan théorique, mais ouvre la voie à des
approfondissements qui ne manqueront pas d’être fructueux : les
objets, les réalités saisies sur le plan empirique par ces deux
approches ne sont pas étrangers les uns aux autres et même sont
probablement pour partie de même nature. Poursuivre dans la voie d’une
élaboration et confrontation de ces modes d’objectivation différenciés
devrait permettre de développer dans un même mouvement, d’une part, un
outillage diversifié en fonction des caractéristiques des objets et des
situations, d’autre part, les objets de recherche et d’intervention
eux-mêmes.
Nous remercions Poly Langa,
maître de conférences en psychologie et ergonomie à l’Université de
Picardie, pour la contribution à cette recherche. Nous remercions
également Yann Le Bossé (Université Laval) pour la présentation de ses
travaux au groupe de recherche « Pouvoir d’agir » initié en
2007 par l’équipe C3U à l’occasion de l’étude menée sur les Systèmes de
Management en Santé et Sécurité. Merci aussi aux enseignants-chercheurs,
et en particulier à Francis Six (Université Charles de Gaulle, Lille 3)
qui ont participé, dans ce cadre, à la transposition des questions de
l’échelle MIPPA au contexte de la santé, sécurité et conditions de
travail.