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S'inscrire Alertes e-mail - Pédagogies en développement Cairn.info respecte votre vie privéeVous consultezChapitre 10. L’analyse structurale de contenu, une démarche pour l’analyse des représentations
AuteursÉtienne Bourgeois du même auteur
UCLAnne Piret du même auteur
FUNDPINTRODUCTION
L’analyse sémantique structurale, inspirée des principes de la sémantique structurale du linguiste A. Greimas, est une méthode qualitative d’analyse du discours particulièrement utile pour l’analyse des représentations en sciences humaines, et en éducation en particulier. Sa fonction principale est de saisir et de représenter la structure sémantique qui sous-tend un discours. Contrairement à l’analyse catégorielle (ou thématique) de contenu, elle ne s’en tient donc pas uniquement aux éléments de « surface » du discours, à ce qui est dit explicitement. Elle permet donc une analyse plus en profondeur du discours et des représentations sous-jacentes qui le structurent. Dans ce chapitre, nous proposons d’abord un bref rappel de l’historique de cette méthode et de ses caractéristiques essentielles, en la distinguant notamment d’autres méthodes d’analyse de contenu. Ensuite, nous présentons dans les grandes lignes comment fonctionne concrètement la méthode, à partir d’une recherche que nous avons menée pour étudier le processus de transformation des représentations à l’œuvre dans l’apprentissage dans un contexte de formation d’adultes. Ensuite, après avoir fait le point sur les potentialités et les limites de la méthode pour l’étude des représentations en sciences de l’éducation, nous abordons la question de sa fiabilité, à partir des résultats d’une étude que nous avons réalisée sur la question.
1 UN PEU D'HISTOIRE
2 L'analyse structurale puise ses racines dans la linguistique, en particulier la « sémantique structurale » développée par Greimas à la fin des années 1960. Dans les années 1970, une équipe de sociologues de l'Université catholique de Louvain s'inspire de la Sémantique structurale de A. Greimas (1986), à des fins de recherches, essentiellement menées dans le champ de la sociologie. Parmi ces pionniers de l'analyse structurale, citons au premier chef Hiernaux (1995) et Nizet, Ganty, Maroy, Rémy et Ruquoy (1990). À cette époque, l'analyse structurale est donc essentiellement utilisée en sociologie.
3 Puis, dans les années 1980, Nizet et Bourgeois collaborent à une recherche portant sur l'analyse des transformations des représentations d'adultes en situation de formation. C'est la première fois que l'analyse structurale trouve une application hors de la sociologie, dans le champ de la psychopédagogie. Cette première aventure interdisciplinaire débouchera également sur un projet de systématisation et une volonté de diffusion de la technique, assortis d'une étude de sa fiabilité (Piret, Nizet & Bourgeois, 1996).
4 À partir de cette époque, l'analyse structurale continuera à être utilisée dans différents domaines. Elle reste d'actualité dans le champ de la socio-logie, bien sûr, mais trouve également des applications en pédagogie, dans le domaine des sciences de la gestion, de la santé publique, du nursing, du travail social, etc.
5 L'analyse structurale, aujourd'hui encore, poursuit sa dynamique. Pointons deux projets actuels qui la concernent :
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- tout d'abord, on peut noter plusieurs tentatives d'application de la technique non seulement dans des recherches de type « fondamental », mais également dans des projets de type « recherche-action », c'est-à-dire en tant qu'outil de diagnostic (analyse des communications internes en sciences de gestion, ou analyse de la demande en travail social, par exemple) ;
- ensuite, une équipe de recherche des Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix (Namur-Belgique) planche actuellement sur le développement d'un logiciel d'analyse structurale (baptisé provisoirement EVOQ), logiciel d'aide à la fois aux opérations de traitement des données-texte et d'aide à la présentation graphique (en 3D) des résultats de l'analyse
2 PRINCIPES DE L'ANALYSE STRUCTURALE
7 Qu'est-ce que l'analyse structurale ? C'est une technique qualitative d'analyse de contenu. Selon la classification que Mucchielli (1991) propose entre toutes les techniques d'analyse de contenu, on la range généralement dans la catégorie des techniques sémantiques et structurales. Détaillons ces différentes caractéristiques.
2.1 Une technique d'analyse de contenu
8 L'analyse structurale est essentiellement une technique d'analyse du contenu du discours. Elle peut donc se révéler pertinente chaque fois que les questions de recherche nécessitent de prendre en compte le point de vue d'un sujet, ou d'un groupe de sujets, et que ce point de vue est (ou peut être) exprimé sous une forme langagière. Il peut s'agir d'objets aussi divers que de l'analyse des représentations d'élèves du secondaire à propos du concept de gaz, de l'analyse des réponses d'étudiants de premier cycle à une enquête sur les difficultés d'adaptation à la vie universitaire, de l'analyse de récits de vie d'enseignants à propos de leur carrière professionnelle, de l'analyse des valeurs contenues dans un document rédigé par la direction d'une école, etc. Actuellement donc, les matériaux privilégiés par l'analyse structurale sont les productions langagières : des interviews, des réponses à des questions ouvertes de questionnaires, des copies d'étudiants, des documents écrits ou transcrits, produits en conditions naturelles ou à des fins de recherche. L'analyse structurale ne suppose pas de mise en forme particulière du document-source, si ce n'est la transcription écrite, le cas échéant, de discours oraux.
2.2 Une technique sémantique
9 Dire que l'analyse de contenu est sémantique, cela signifie qu'à la différence d'autres techniques d'analyse de contenu (cf. Mucchielli, 1991), elle ne s'intéresse pas à la forme du document, ou au style de l'auteur pour mieux en connaître les caractéristiques psychosociales. L'analyse structurale s'intéresse au sens du texte, à la signification que le locuteur donne aux mots et aux expressions qu'il utilise dans son discours.
10 Le recours à une technique sémantique telle que l'analyse structurale repose donc sur le postulat que les significations véhiculées par une production langagière ne sont pas d'emblée accessibles au chercheur. Une technique de traitement de son contenu est utile au relevé systématique des éléments signifiants du texte et à leur objectivation. Dans cette optique, l'apport de l'analyse structurale est de garantir, par le jeu de règles précises de traitement du matériau, la fidélité au point de vue, individuel ou collectif, exprimé par le locuteur, en se préservant de projeter dans l'analyse les hypothèses ou intuitions subjectives du chercheur.
11 Concrètement, l'analyse structurale, via l'application d'un certain nombre de procédures, permet donc de transposer le contenu discursif d'un matériau en un schéma de forme standardisée. Notons au passage que cette standardisation de la mise en forme des résultats de l'analyse est un atout évident dans le cadre de recherches comparatives.
2.3 Une technique structurale
12 L'analyse structurale est… structurale. La démarche structuraliste postule que la signification d'un terme ou d'un concept n'est pas absolue, mais relative, c'est-à-dire que le sens d'un mot est dérivé de ses relations, ses parentés et ses contrastes avec les autres termes du discours. Le sens que le locuteur donne aux mots qu'il choisit est donné par la combinaison des relations de ce terme avec les autres termes de son discours, c'est-à-dire de sa position dans la structure d'ensemble du discours.
13 L'idée principale est donc de s'intéresser aux catégories de langage construites et surtout articulées par une personne, ou un groupe, pour exprimer son rapport au monde. Plus fondamentalement, l'analyse structurale cherche à repérer comment les individus organisent leurs perceptions en un « quelque chose » de cohérent et de signifiant au travers du langage. De ce point de vue, le travail de décodage sémantique du texte s'effectue dans une clôture du matériau : on prend en compte tout le texte, mais rien que le texte pour déterminer les significations des différents termes du texte. Cette clôture du matériau constitue également une garantie de validité de l'analyse.
14 Un avantage important de cette optique de décodage structural est la possibilité de prendre en compte l'implicite du texte de manière contrôlée. Le décodage structural d'un texte permet en effet de mettre en évidence des « blancs » logiques de la structure, c'est-à-dire des éléments sur lesquels le sujet ne s'est pas explicitement exprimé, mais dont on peut déduire l'existence en vertu des différents principes de relation entre les éléments. Toute-fois, cette attitude structurale fait aussi de la méthode une technique plus intensive qu'extensive : la reconstruction de la structure du discours du locuteur s'applique plus volontiers au travail en profondeur sur un nombre restreint de matériaux que sur un corpus nombreux et/ou volumineux.
3 UN EXEMPLE : UNE RECHERCHE SUR LES CHANGEMENTS DE REPRÉSENTATIONS EN FORMATION D’ADULTES[1]
[1] Nous reprenons ici un exemple développé en détail dans...
suite
3.1 Aperçu de la recherche
15 Il s’agit d’une étude exploratoire dont l’objectif est de rendre compte des processus de transformation des représentations de l’apprenant en cours de formation par une analyse en profondeur du discours tenu par des apprenants à des moments différents, à propos des mêmes objets.
16 Concrètement, nous avons travaillé avec un nombre très limité de sujets, quatre au total. Il s’agit d’étudiants adultes suivant un cours de socio-logie dans le cadre d’un programme universitaire de 2e cycle en politique économique et sociale (la FOPES) à l’Université catholique de Louvain. Chacun d’eux a été interviewé à trois reprises. Une fois au début du cours (T1), une deuxième fois, trois mois plus tard, juste après la fin du cours (T2) et une troisième fois, six mois environs après la seconde (T3). Dans les deux premières interviews, il était demandé aux sujets de s’exprimer sur un cas étudié au cours, en termes, d’une part, de diagnostic du problème posé dans le cas et d’autre part de proposition de solutions. Une de nos préoccupations était notamment d’examiner l’usage que les sujets faisaient « spontanément » des concepts traités au cours. Les entretiens ont donc été menés de manière très peu directive. Ils ont été menés dans des conditions que nous avions voulues les plus semblables possible. Nous avons procédé à l’analyse thématique et structurale de contenu des deux premiers entretiens dans les semaines qui ont suivi le second. L’objectif de l’analyse était, d’une part, de décrire les changements les plus significatifs apparaissant dans les discours du T1 et du T2 et, d’autre part, de faire émerger quelques hypothèses explicatives des changements observés. La troisième interview, plus longue, comportait deux parties. La première, menée dans des conditions proches des deux premiers entretiens avait le même objectif : recueillir les représentations du sujet à propos du cas traité dans les deux premiers entretiens, ce qui nous permettait d’analyser l’évolution de ces représentations entre T2 et T3. Dans la seconde partie de ce troisième entretien, nous avons soumis au sujet nos hypothèses relatives à la description et à l’explication des changements observés entre T1 et T2 en vue de les valider.
3.2 La « cuisine » de l’analyse de contenu à l’œuvre
17 L’analyse de contenu est intervenue à trois reprises.
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- Après le T2, les matériaux T1 et T2 ont été analysés pour décrire et expliquer les changements de représentations observés entre T1 et T2.
- Après le T3, la première partie du troisième entretien a été examinée pour décrire et expliquer les changements de représentations observés entre T2 et T3.
- Après le T3, la seconde partie du troisième entretien a été examinée pour valider les hypothèses explicatives des changements observés.
19 À chaque fois, nous avons procédé en trois étapes :
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- d’abord, une analyse de contenu de type thématique (ou catégorielle) a été appliquée pour repérer les thèmes abordés dans les entretiens ;
- ensuite, nous avons repéré et retenu les thèmes communs abordés spontanément par le sujet dans les trois entretiens ; nous avons ensuite sélectionné tous les passages se rapportant à chacun de ces thèmes. Un second critère de sélection des thèmes retenus pour l’analyse était leur pertinence par rapport à la problématique de recherche ;
- pour chaque thème, nous avons dressé un ordre de priorité des passages à analyser, selon leur degré de représentativité (ou de « significativité ») par rapport au thème. Dans cet ordre, nous avons alors procédé à l’analyse structurale des passages retenus, nous arrêtant dès qu’un niveau suffisant de saturation de l’information était atteint.
3.3 Un exemple de changement observé dans le discours traité par l’analyse structurale
21 Pour concrétiser un peu l’exposé, examinons à présent un exemple observé entre T1, T2 et T3 dans le discours d’un de nos sujets. Ce sera également l’occasion de présenter deux ingrédients de base de l’analyse structurale, à savoir, la disjonction et la structure sémantique.
La disjonction
22 Nous reviendrons ici sur un cas déjà publié par ailleurs, le cas de Georges (Piret et al., 1996, Bourgeois & Nizet, 1999). Lors de la première interview, interrogé au départ sur le cas étudié au cours, Georges en arrive très vite à parler de lui-même, de sa trajectoire de vie. Au moment de l’entretien, il a 35 ans, agriculteur de profession depuis son adolescence. Depuis quelques années il s’implique de plus en plus dans des associations d’agriculteurs et plus récemment il s’est engagé dans la politique locale. Il a brigué sans succès le mandat de président d’arrondissement de son parti. Il parle abondamment de cette expérience douloureuse. À ce propos, son discours au T1 est structuré autour d’un dilemme existentiel : soit être soi-même, c’est-à-dire quelqu’un qui est « dur » et dit ce qu’il pense mais adopter alors des comportements qui le conduisent à l’échec dans son ascension politique, soit être stratégiquement efficace mais au prix d’un reniement de soi, de son intégrité.
23 Examinons les deux passages suivants :
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T1.2. Si je ne suis pas arrivé, dans certains cas, à être parmi les dominants, c’est que je me suis battu trop ouvertement.
25 Dans l’analyse structurale, l’unité discursive de base est ce qu’on appelle une disjonction, c’est-à-dire une relation entre deux éléments du discours (un ou des mots ou groupes de mots) qui présentent les trois caractéristiques suivantes :
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- les deux termes doivent se référer à un dénominateur, une dimension, un axe sémantique commun (critère d’homogénéité) ;
- ils doivent être mutuellement exclusifs (sur l’axe sémantique commun, les deux termes s’excluent mutuellement, ne se recouvrent aucunement) (critère d’exclusivité) ;
- et conjointement exhaustifs (il ne peut y avoir d’autres termes dans le discours se rapportant à l’axe sémantique) (critère d’exhaustivité).
27 Dans les passages ci-dessus, on trouve notamment la disjonction suivante :
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29 On notera que le terme de droite (signalé entre parenthèses) est implicite (du moins dans l’extrait présenté, car il est explicité ailleurs dans l’entretien).
La structure sémantique
30 Mais l’intérêt de l’analyse structurale est de représenter la structuration des relations sémantiques qui unissent les disjonctions dans le discours. On distingue trois types fondamentaux de structure sémantique.
31 Dans la structure parallèle, les disjonctions sont unies par une relation logique de double implication termes à termes :
32 Avec A1 ⇔ A2 et B1 ⇔ B2
33 Ajoutons que dans cette structure les valorisations (+ et –) sont identiques d’un côté de la structure et inverses de l’autre. Par exemple :
34 Dans notre exemple, les deux disjonctions suivantes forment une structure parallèle :
35 Dans la structure hiérarchisée, un des éléments du discours constitue à la fois le terme d’une disjonction et l’axe sémantique d’une autre :
36 Il n’y a pas de structure de ce type repérable dans les extraits ci-dessus. À noter que B1 a toujours une valorisation inverse à A1 et que A2 et B2 « héritent » de la valorisation de B1, même s’ils présentent entre eux une valorisation inverse. Par exemple :
37 Dans la structure croisée, la plus complexe des trois, deux disjonctions constituent deux axes sémantiques orthogonaux dont le croisement génère d’autres disjonctions :
38 Les disjonctions produites par le croisement des deux axes orthogonaux « héritent » des valorisations correspondantes de ceux-ci et présentent des valorisations inverses entre leurs termes respectifs. Par exemple :
39 Les deux extraits présentés plus haut sont structurés de cette manière, typique du dilemme :
40 « Recracher ce qui ne va pas », « se battre ouvertement » sont des comportements conformes à ce qu’il est (et qu’il valorise positivement du point de vue identitaire) mais du coup le condamne à rester parmi les « dominés » (ce qu’il valorise négativement du point de vue de ses objectifs d’action), tandis que parvenir à taire ce qui ne va pas serait certes plus efficace du point de vue stratégique mais négatif du point de vue identitaire.
41 Il serait trop long de décrire ici les évolutions de cette structure, aux T2 et T3. En résumé, on constate que l’appropriation de certains concepts du cours a conduit à une transformation progressive de cette structure (et d’autres encore) qui permet au sujet de sortir de ce dilemme. En bref, au T2, l’axe identitaire a quasi disparu, seul l’axe des comportements et des objectifs d’actions est traité, suspendant du même coup le dilemme du T1. De plus, cet axe s’enrichit : de nouveaux comportements apparaissent, des comportements de l’ordre du « dire ce qu’on pense » sont perçus comme efficaces dans certains cas, alors que dans d’autres cas se taire n’est pas toujours efficace. Le sujet élabore une représentation assez complexe reliant l’efficacité stratégique des comportements à une série de conditions (de nombreuses structures parallèles et hiérarchisées apparaissent). Dans la troisième interview, la panoplie des stratégies se diversifie encore et l’analyse des facteurs qui conditionnent l’efficacité stratégique des comportements s’affine encore. En outre, l’axe de l’identité est explicitement réintroduit et réarticulé à celui des stratégies, mais plus sous la forme d’un dilemme comme c’était le cas au T1.
42 On a pu aussi rendre compte de la « trajectoire » subie par un concept enseigné au cours au fil de son incorporation progressive dans les structures sémantiques du discours. Cette trajectoire s’apparente fort à celle décrite par S. Moscovici (1961) à propos de l’appropriation de concepts scientifiques dans le savoir commun (sélection, déconstruction, reconstruction).
4 LES APPORTS DE L’ANALYSE STRUCTURALE POUR LA RECHERCHE SUR LES REPRÉSENTATIONS
43 En résumé, en s’attachant à décrire la structure sémantique du discours, l’analyse structurale apparaît particulièrement pertinente pour approcher les représentations mentales du sujet et leur transformation à partir du discours. Elle permet de reconstruire les représentations dans leurs trois dimensions essentielles (telles que formulées par Moscovici, 1961), à savoir leur contenu informationnel (les disjonctions), leur structure (les trois structures sémantiques), et leur dimension normative (la distribution des valorisations au sein des structures sémantiques). Elle offre en outre une série de règles suffisamment rigoureuses pour prévenir et limiter en tout cas les risques de projection abusive des significations du chercheur sur celles du sujet.
44 L’analyse structurale donne sa pleine mesure dans des recherches ayant pour objet des comparaisons synchroniques (interindividuelles ou intergroupes) ou diachroniques (changements intra-individuels ou intra-groupes).
45 Elle nous apparaît particulièrement appropriée pour des recherches inductives, ou dans les phases exploratoires d’une recherche déductive. Elle peut aussi utilement compléter d’autres types de méthodes, qualitatives (comme l’analyse catégorielle de contenu) ou quantitatives (de type factoriel par exemple).
46 Son usage requiert cependant impérativement un certain type de matériau empirique :
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- un matériau discursif, original (de première main) et autosuffisant ;
- un matériau suffisamment riche et valide par rapport aux représentations ciblées ;
- un matériau articulé.
48 Le recueil du matériau peut être non dirigé ou semi-dirigé, selon la question de recherche (par exemple, selon que l’on vise les représentations spontanément activées par un stimulus donné – comme dans le cas exposé plus haut – ou que l’on vise les représentations du sujet à propos d’un objet prédéterminé, comme une notion ou une théorie enseignée).
49 Le coût important de mise en œuvre de l’analyse structurale impose une approche très sélective du matériau, ce qui implique deux options de travail :
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- soit on travaille sur un volume limité de matériau, minutieusement sélectionné en fonction de sa pertinence par rapport à la problématique de recherche, de l’efficience du traitement (éviter les passages redondants), et de la comparabilité des thèmes. À cet égard, comme on l’a vu, une analyse catégorielle préalable peut s’avérer très utile ;
- soit on traite plus superficiellement l’ensemble du matériau.
5 LA FIABILITÉ DE L’ANALYSE STRUCTURALE : UNE RECHERCHE ORIGINALE
51 Il y a quelques années, nous nous sommes posé la question de la fiabilité de l’analyse structurale, une question, il faut l’avouer, trop souvent négligée par les habitués de la recherche qualitative, et l’avons soumise à l’épreuve empirique. On a ainsi formé un groupe d’étudiants de façon strictement identique à la technique (le manuel publié avait été conçu à cet effet – cf. Piret, Nizet & Bourgeois, 1996) et on leur a soumis un même matériau brut avec les mêmes consignes de traitement. On a ensuite examiné et comparé le résultat de leurs analyses. Plutôt que d’établir des indices statistiques de fiabilité, notre but était de mettre à plat la diversité des divergences possibles dans l’analyse et d’en inférer les causes possibles en vue d’une amélioration de la technique, de son usage et/ou de son apprentissage. Nous renvoyons le lecteur au dernier chapitre de notre ouvrage pour un compte rendu détaillé des résultats de cette étude. Cette recherche était avant tout exploratoire.
52 En bref, les analyses de paires de décodeurs sur trois matériaux (les mêmes pour chaque paire) ont été comparées sur trois dimensions : les disjonctions, les types de structure et la distribution des valorisations. Un degré d’accord relativement élevé est apparu au niveau des structures et des valorisations. Il était plus faible en ce qui concerne les disjonctions (en termes de formulation, de présence ou non d’inverses vides, ou encore de présence ou non de certaines disjonctions).
53 Trois causes de désaccord ont été identifiées :
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- l’erreur d’application des règles : par exemple, la projection des catégories du sens commun dans la définition des disjonctions ou l’attribution des valorisations, la non-vérification des critères de la disjonction, la confusion entre les disjonctions formant les axes orthogonaux et celles générées par le croisement de ceux-ci ;
- la différence d’interprétation de la consigne : par exemple, le flou quant au degré de condensation attendu ;
- l’ambiguïté de la règle : par exemple, la confusion entre structure croisée de type dilemme et la structure parallèle.
6 CONCLUSION
55 L’analyse structurale s’avère à l’usage un outil extrêmement utile pour le chercheur en éducation. Elle est tout particulièrement indiquée pour des travaux étudiant le contenu de représentations et le processus de transformation de ces représentations. Elle trouve ainsi un usage particulièrement intéressant pour l’étude de l’apprentissage dans une perspective constructiviste, mais également pour l’étude d’autres représentations susceptibles d’agir dans le processus d’apprentissage (dynamiques identitaires, concept de soi, projet et buts de l’apprenant, motifs d’engagements, représentation de la tâche, de la situation et du contexte, représentations réciproques des apprenants et de l’enseignant (e) ou formateur (trice), etc.). Dans ce genre de travaux, elle permet d’aller beaucoup plus en profondeur que les approches catégorielles/thématiques classiques dans le repérage de la structure sémantique qui organise la représentation. On notera enfin que l’analyse structurale trouve également un prolongement particulièrement intéressant dans la technique d’analyse du « schéma de quête » [2][2] Cf. Piret, Nizet et Bourgeois (1996) pour une...
suite, tout particulièrement indiquée pour les travaux sur la dynamique motivationnelle (rôle des buts, projets, motifs, perspective future, etc.).
56 La limitation principale de l’analyse structurale réside dans le coût (en temps) relativement important de son apprentissage et de sa mise en œuvre. De plus, comme beaucoup de techniques d’analyse qualitative, elle nécessite idéalement une interaction au moins entre deux « analystes », un « luxe » qu’on peut rarement se payer en recherche. Une informatisation de la technique permettrait sans doute une plus grande efficience des traitements mais elle ne pourra jamais remplacer l’importante activité d’interprétation de l’analyste qu’elle exigera toujours. Notre expérience nous a aussi montré la grande complémentarité de l’analyse structurale avec d’autres méthodes qualitatives d’analyse de contenu (en particulier, comme on l’a souligné, avec les techniques d’analyse catégorielle/thématique) et des méthodologies quantitatives (en particulier les approches par questionnaire). Elle permet notamment d’apporter un éclairage souvent essentiel aux résultats d’analyses factorielles.
Notes
[1] Nous reprenons ici un exemple développé en détail dans Piret, Nizet & Bourgeois (1996).
[2] Cf. Piret, Nizet et Bourgeois (1996) pour une présentation détaillée de cette technique.
PLAN DE L'ARTICLE
- INTRODUCTION
- 1 UN PEU D'HISTOIRE
- 2 PRINCIPES DE L'ANALYSE STRUCTURALE
- 3 UN EXEMPLE : UNE RECHERCHE SUR LES CHANGEMENTS DE REPRÉSENTATIONS EN FORMATION D’ADULTES
1 - 4 LES APPORTS DE L’ANALYSE STRUCTURALE POUR LA RECHERCHE SUR LES REPRÉSENTATIONS
- 5 LA FIABILITÉ DE L’ANALYSE STRUCTURALE : UNE RECHERCHE ORIGINALE
- 6 CONCLUSION
POUR CITER CET ARTICLE
Étienne Bourgeois et Anne Piret « Chapitre10. L'analyse structurale de contenu, une démarche pour l'analyse des représentations », in L'analyse qualitative en éducation, De Boeck Supérieur, 2006, p. 179-191.
URL : www.cairn.info/l-analyse-qualitative-en-education--9782804150518-page-179.htm.