1Mai 2011. Dans une dizaine de musées français, plus de 400 personnes aident un garçon nommé Julien à faire en sorte que Tom, son meilleur ami perdu dans le temps, puisse revenir au xxi e siècle. Pour cela, elles doivent trouver des informations dans les collections des musées, mais aussi repérer des indices dissimulés dans des sites internet, décrypter des messages et résoudre des énigmes.

2 Ces visiteurs ont joué à Cherche Tom dans la nuit, un jeu pervasif à visée culturelle, une expérience ludique qui demande un engagement des participants et leur offre la possibilité de s’approprier, respectivement, des contenus culturels liés à un événement unique et d’acquérir un savoir sur des lieux historiques. Le jeu pervasif culturel est un dispositif socio-technique qui engendre de nouvelles formes de médiation culturelle. Depuis les débuts de l’essor du multimédia, les institutions culturelles (musées, scènes artistiques…) se sont attachées à exploiter les supports multimédias pour créer des formes de médiation et favoriser ainsi l’accès au patrimoine à de nouveaux publics. Cependant, ces formes ne sont pas toujours conformes aux attentes des publics, compte tenu aussi du processus global de convergence médiatique dû à l’évolution des technologies de l’information et de la communication (tic) et à la large diffusion des dispositifs mobiles. La recherche des principes et recommandations de conception pour assurer cette adéquation se situe à l’intersection des champs des sciences de l’information et de la communication (sic) et du design numérique.

3 Centrée sur le jeu pervasif culturel, le présent article s’organise en quatre volets. Dans le premier, nous fournissons des repères essentiels sur la notion de jeu et nous décrivons les caractéristiques du « jeu pervasif » (jp). Dans le deuxième, nous rappelons les principaux éléments inhérents à la notion de médiation culturelle, nous définissons le « jeu pervasif culturel » (jpc), ses caractéristiques et ses atouts par rapport au jp et aux autres dispositifs. Puis, nous illustrons la définition de jpc à l’aide d’exemples et nous décrivons notre corpus. Dans le quatrième volet, nous présentons notre proposition d’outil méthodologique, sous la forme d’une typologie et d’une taxonomie, et nous décrivons ses atouts. En conclusion, nous abordons les limites et perspectives de notre travail, notamment concernant la conception d’une ontologie de jpc.

Les traits déterminants d’un jeu pervasif

4 Un jp est avant tout un jeu, l’une des activités humaines les plus importantes dans le processus de socialisation. Johan Huizinga (1938) identifie ces traits caractéristiques du jeu : une activité libre, autant dans le choix de participer que d’abandonner, qui absorbe profondément le joueur, qui n’offre aucun profit matériel, possédant un périmètre spatial et temporel précis, régie par des règles fixes, favorisant la formation de groupes sociaux qui interagissent les uns avec les autres. À ces traits, suivant Roger Caillois (1958), nous en juxtaposons d’autres : le résultat de cette activité est incertain et non déterminé à l’avance, et le déroulement de cette activité s’appuie sur des règles acceptées par tous les participants et remplaçant, momentanément, les lois de la société. Ainsi tout participant est-il conscient de la nature fictive de l’univers du jeu. De plus, selon Katie Salen Tekinbaş et Éric Zimmerman (2003), un jeu aboutit toujours à un résultat quantifiable. Enfin, pendant l’activité ludique, le joueur est immergé dans un univers fictif auquel il a l’impression d’appartenir (Witmer, Singer, 1998) et où son action éprouve une satisfaction intrinsèque (Csikszentmihalyi, Hermanson, 1999). Outre les traits fondamentaux d’un jeu, un jp possède en plus les caractéristiques suivantes : pervasivité et convergence médiatique, frontières expansives, ambiguïté, paréidolie [1][1]Le terme paréidolie désigne un phénomène naturel qui consiste à… et coïncidences.

La pervasivité et la convergence médiatique

5 Situé entre les domaines de l’informatique et du jeu, le concept de pervasivité décrit l’intégration des tic dans la vie quotidienne des utilisateurs et assume la forme d’une multitude d’objets connectés et souvent invisibles à l’utilisateur. Originairement employée pour caractériser les nouveaux services d’information (Birnbaum, 1997), la pervasivité comporte trois dimensions (Kourouthanassis, Giaglis, 2007) :

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  • la diffusion de l’information aux personnes via des infrastructures technologiques différentes (fibre optique, Wifi, etc. – Saha, Mukherjee, 2003) et interfaces (tactiles, sonores, etc. – Nieuwdorp, 2007) ;
  • l’emploi de l’ubiquité [2][2]La locution informatique ubiquitaire désigne un paradigme de… permettant l’accessibilité des informations indépendamment du lieu et du moment de la requête formulée de la part de l’utilisateur (Wieser, 1991) ainsi que l’interaction en temps réel entre l’utilisateur et le système (Luff, Heath, 1998) ;
  • la prise en compte par le système qui est programmé pour s’adapter proactivement aux exigences des utilisateurs et de leur contexte (activité en cours, modalité d’interaction possible, temps à disposition pour traiter une information, etc. – Abowd, Mynatt, Rodden, 2000 ; Dey, Mankoff, 2005).

7 L’extension de ce concept au domaine du jeu nécessite l’exploitation des techniques de positionnement sans fil, notamment exploitées afin d’assurer la localisation du joueur et ainsi lui permettre d’accéder à des informations contextuelles (Benford et al., 2006 ; Chalmers et al., 2004 ; Reid et al., 2008). Tout jp s’appuie, de plus, sur une architecture « client-serveur », où le serveur permet la centralisation des données du jeu et des joueurs mais aussi des outils de « maîtrise de jeu » (contrôle du scénario, respect des règles, gestion des joueurs, scores – Ballagas, Kuntze, Walz, 2007 ; Björk, Falk, Hansson, Ljungstranden, 2001). Le terminal « client » doit fournir aux joueurs l’accès à toutes les technologies nécessaires pour afficher le contenu en fonction du support utilisé et pour assurer l’interactivité fonctionnelle et les interactions sociales médiatisées entre les autres joueurs (Schneider, Kortuem, 2001 ; Stenros, Montola, Waern, Jonsson, 2007).

8 Du point de vue du jeu, le mot pervasif véhicule l’idée du mélange entre les éléments de la vie quotidienne et les éléments d’un scénario caractérisé par différents degrés d’interactivité (Montola, 2007). D’autres auteurs caractérisent la pervasivité en termes de transition et de transformation entre les vecteurs de communication, les médias. Dans ce sens, la notion de « convergence médiatique » (Jenkins, 2006) identifie un flux de contenus transmis via plusieurs supports médiatiques, selon des temporalités différentes (synchrone et asynchrone) et des lieux variés, étant donné le comportement nomadique des utilisateurs supporté par les tic. Ce flux alimente la coopération entre plusieurs industries médiatiques ainsi que le comportement nomade des audiences en quête de l’expérience de divertissement souhaitée (ibid.). La convergence médiatique a permis l’émergence de nouvelles formes de narration multisupport et, en particulier, d’une technique narrative permettant à une histoire d’être « disséminée sur plusieurs plateformes médiatiques, chaque contenu contribuant à l’ensemble de manière distincte et enrichissante » (ibid. : 26).

Les frontières expansives

9 Un jp n’est pas une entité narrative monadique, mais plutôt une entité aux frontières expansives (Montola, 2007). Cela signifie que, pour être qualifié comme pervasif, un jeu doit disposer de frontières susceptibles de s’élargir sur les plans social, spatial et temporel (Montola, 2005), sortant ainsi des frontières traditionnellement dévolues au jeu. Ces traits, qui font écho au travail de Johan Huizinga (1938), deviennent les critères discriminants pour identifier un jp. Plus précisément, la nature pervasive d’un jeu peut être décrite selon trois critères :

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  • sur le plan social, dans le jeu, aucune distinction précise n’est faite entre joueurs et non-joueurs, ce qui implique un taux d’ambiguïté dans la perception des rôles (participants/non-participants) ;
  • sur le plan spatial, les limites physiques du jeu sont indéfinies, les espaces et les outils de la vie quotidienne y sont intégrés, au lieu d’artefacts spécialement conçus, et continuent à appartenir à la vie quotidienne du joueur ;
  • sur le plan temporel, la durée de la session de jeu se superpose à celle des fragments de la vie quotidienne, fusionnant, par exemple, le temps de vie professionnelle avec le temps de jeu.

11 Un jp se caractérise enfin par le fait que son gameplay[3][3]Inexistant en français, le terme gameplay décrit les éléments… exploite les technologies informatiques pervasives, mêlant ainsi la fiction et la réalité (Hinske, Lampe, Magerkurth, Röcker, 2007 ; Lankoski et al., 2004 ; Montola, 2011 ; Nieuwdorp, 2007).

L’ambiguïté

12 Les frontières expansives créent une certaine ambigüité dans le processus perceptif de ce qui a trait au réel et à la fiction. Par exemple, dans un jpc comme Uncle Roy All Around You[4][4]Uncle Roy All Around You (uray) est un jeu urbain dans lequel… (Blast Theory & Mixed Reality Lab, 2003), il était parfois demandé aux joueurs de chercher une personne qui portait un T-shirt blanc (Benford et al., 2006). Ces critères vagues et génériques engendraient une situation ambigüe car le joueur ne savait pas quelle était la bonne personne à suivre ou si l’instruction n’avait pas pour seul but de le désorienter.

13 William W. Gaver, Jacob Beaver et Steve Benford (2003) identifient deux principaux types d’ambiguïté :

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  • l’ambiguïté d’information, qui intervient lorsque le joueur reçoit des informations imprécises, sources de spéculation ou nécessitant une interprétation (voir le jeu Uncle Roy All Around You, où les joueurs doivent suivre une personne à partir d’une description vague) ;
  • l’ambiguïté de contexte, qui crée une interaction lorsqu’on exclut un objet ou un élément du contexte attendu, en brisant les conventions d’utilisation de celui-ci (voir les créations « Modified Social Benches » de l’artiste danois Jeppe Hein qui engendrent une confusion entre la fonctionnalité attendue du banc public et le fait qu’il soit inutilisable).

15 Ces ambiguïtés sont une source d’intérêt et d’amusement pour les joueurs (Benford et al., 2006 ; Gaver et al., 2003 ; Montola, 2007) qui doit être prise en compte lors de la conception des jp (Bellotti, Ferretti, De Gloria, 2005 ; Reid, 2008). L’ambiguïté d’information favorise le phénomène de paréidolie (Meng, Cherian, Singal, Sinha, 2012).

La paréidolie et les heureuses coïncidences

16 Lorsque l’on reconnaît un visage humain ou un animal dans la forme des nuages, nous sommes devant le phénomène de « paréidolie ». Ce terme indique un phénomène naturel qui consiste à donner une interprétation erronée et précise à un stimulus visuel ambigu (Guilbert, Lagane, Niboey, 1976 ; McGonigal, 2006).

17 Dans le domaine des jp, selon Jane McGonigal (2004), la paréidolie interviendrait lorsque le joueur pense qu’un événement qu’il perçoit est intégré au jeu alors qui ne l’est pas. S’en suit l’impression qu’un message lui serait destiné. Par exemple, dans sa thèse de doctorat, Jane McGonigal (2006 : 398) décrit un cas de paréidolie. Une équipe participant au jeu Go Game (Wink Back, 2002) avait trouvé un amoncèlement de matériaux (pièces de métal et morceaux de meubles) à côté d’un panneau « Assemblement Nécessaire ». Pensant que ce panneau était un élément du jeu, les joueurs cherchèrent pendant 20 minutes à imbriquer ces différents éléments et construire un fauteuil, alors que le panneau n’avait aucun lien avec les règles du jeu.

18 Une dernière caractéristique d’un jp est « l’heureuse coïncidence » (Reid, 2008), le moment où le contexte est favorable pour créer un pont entre le monde réel et l’univers fictif du jeu. Trois types de coïncidences sont identifiés (ibid.) :

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  • la coïncidence naturelle, quand les événements du jeu et les événements naturels sont liés, comme, par exemple, lorsque le jeu vous demande d’apercevoir un corbeau au moment précis où vous entendez un texte descriptif ou narratif portant sur cet oiseau ;
  • la coïncidence sociale, quand un joueur partage un événement du jeu avec un autre joueur, avec l’impression que cela est une coïncidence ;
  • la coïncidence feinte, quand des acteurs ou des éléments du jeu sont employés par les concepteurs du jeu de manière à provoquer des coïncidences qui paraissent naturelles.

20 Les coïncidences augmentent le sentiment de présence du joueur (Slater, 1999 ; Wirth et al., 2007) et engendrent, chez lui, un sentiment de connexion vis-à-vis de l’espace dans lequel le jeu se déroule (Reid, 2008), voire du patrimoine culturel dans un contexte de médiation culturelle.

21 En résumé, un jp est un jeu dans lequel les frontières entre réalité et scénario fictionnel interactif restent floues sur les plans social, spatial et temporel.

La médiation culturelle : la pierre angulaire d’un jeu pervasif culturel

22 Dans notre perspective de recherche, un jpc est un jp conçu et réalisé dans un but spécifique de médiation culturelle et destiné à la transmission des savoirs et aux apprentissages. La notion de médiation est un objet scientifique complexe à définir en sic (Davallon, 2004). Au même titre, la « médiation culturelle » renvoie à des pratiques et à des objectifs diversifiés. La diversité des pratiques est liée aux acceptions du terme culture (Darras, 2004). Ces formes incluent les pratiques professionnelles des médiateurs culturels, les actions culturelles et la réalisation de produits destinés à présenter les œuvres au public (Lambert, 2003 ; Davallon, 2004). Les différents acteurs institutionnels qui contribuent à la médiation culturelle (musées, centres culturels, bibliothèques, maisons de quartier) conçoivent et mettent en œuvre des stratégies de médiation différentes, en s’adaptant à un contexte spécifique (public, lieu).

23 Parmi les objectifs de la médiation culturelle énoncés par Jean Davallon (2004) et Emmanuelle Lambert (2003), nous en retenons trois : aider les publics à bâtir leur propre compréhension des œuvres d’art ; guider les publics vers l’appropriation du patrimoine culturel ; faciliter leur accès à la connaissance des œuvres. Ces objectifs configurent selon une trajectoire convergente la médiation culturelle comme support à la transmission des savoirs et aux apprentissages (Lenoir, 1996 ; Weil-Barais, Schweister, 2008).

24 Sur le plan opératoire, l’accessibilité des savoirs de la part d’un public exige la construction d’une interface (Davallon, 2004) qui devient un lieu de rencontre entre la culture d’un groupe social spécifique et celle d’un individu ou d’un autre groupe (professionnel, privé, voir Katan, 2014). Ce lieu est bâti sur une dimension symbolique et technique (Rousseau et al., 2014), avec des effets hétérogènes sur le public (Dufrêne, Gellereau, 2004). L’articulation entre ces deux dimensions n’est pas une donnée acquise. En effet, bien que les musées et d’autres institutions culturelles aient très tôt exploité les possibilités offertes par les dispositifs multimédias (bornes interactives, cédéroms, sites internet) et que l’expérience acquise soit assez importante, des doutes demeurent sur leur efficacité en termes de « médiation culturelle ». Car, au début, ces dispositifs ont montré qu’ils se limitaient à assurer une fonction de diffusion plutôt que de médiation (Vidal, 1998), notamment en raison du faible niveau d’interactivité (Lambert, 2003) et de personnalisation de l’expérience vécue par le public (Filippini-Fantoni, 2004). Avec le développement et la banalisation des tic, les attentes des publics dépassent désormais la simple interactivité permettant l’exploration de contenus (Fourmentraux, 2006). Ainsi, par exemple, les publics des musées manifestent-ils non seulement le désir d’être actifs devant une œuvre (Davallon, Gottesdiener, Le Marec, 1999) ou d’y contribuer (Fourmentraux, 2006), mais ils éprouvent aussi le besoin de créer, recréer ou co-créer des objets culturels (Lambert, 2003) et de valoriser leurs expériences en tant qu’activités sociales (Laurillau, Paternò, 2004).

25 Ces dispositifs ont des appellations différentes : jeu pervasif, ubiquitaire, éducatif, à portée culturelle, « sérieux pervasifs sur le patrimoine culturel » (Coenen et al., 2013). Selon notre perspective, un jpc est tout dispositif utilisé avec un état d’esprit ludique, créé à des fins de médiation culturelle, ayant des frontières (spatiale, sociale et temporelle) expansives et qui engendre une expérience réelle supportée par les tic.

26 Nous soulignons que la valeur fondamentale d’un jpc concerne son esprit ludique (Genvo, 2006) et non la transmission des savoirs intrinsèques à la médiation culturelle. En conséquence, nous ne qualifions pas les jpc avec l’étiquette de jeux sérieux (en anglais serious games), qui, à l’origine, indique une classe de jeux ayant un objectif pédagogique élaboré et conçu ad hoc, dans un contexte d’apprentissage, en complément d’autres méthodes afin de mêler apprentissage scolaire et apprentissage informel (Abt, 1970). Selon une acception plus récente (Alvarez, Djaouti, 2010), un jeu sérieux intègre à la fois une dimension sérieuse et une dimension vidéo-ludique. Cette acception, tout en limitant ces jeux à un support numérique, définit aussi un panel de buts considérés comme sérieux (Alvarez, Djaouti, 2010 ; Alvarez et al., 2007 ; Anderson et al., 2010 ; Bellotti et al., 2013 ; Mortara et al., 2014 ; Zyda, 2005).

27 Cependant, selon Ian Bogost (2007), la dimension sérieuse d’un jeu ne se limite pas aux buts et contenus, mais intègre aussi les stratégies persuasives, qui sont construites sur des techniques de rhétorique procédurale [5][5]Le caractère procédural est un des aspects fondamentaux des…, c’est-à-dire la manière de construire un argument persuasif à travers des programmes informatiques qui simulent des événements et des comportements humains (Bogost, 2011). Sous la forme de règles implémentées dans le code informatique d’un jeu, ces programmes traduisent la manière avec laquelle les concepteurs du jeu perçoivent le monde et sa complexité. À titre d’exemple, dans le jeu September 12 th (Gonzalo Frasca, 2003), des terroristes armés patrouillent dans un village « typique » du Moyen-Orient. Un joueur peut désigner un terroriste grâce à son curseur et, avec un simple clic, jeter un missile sur la cible. Cependant, le missile provoque d’importants dégâts collatéraux, le terroriste n’étant pas la seule victime, et peu après l’impact, les proches des victimes viennent pleurer leurs morts et deviennent à leur tour des terroristes. Ainsi, pour chaque terroriste tué, trois au moins reprennent le flambeau. Tout en empêchant de « gagner » lorsqu’on joue à September 12 th , cette règle intrinsèque du jeu traduit l’argument persuasif des concepteurs du jeu, qui voulaient induire le joueur à appréhender les effets négatifs des frappes « chirurgicales » et des « guerres propres ».

Un corpus de jeux pervasifs culturels

28 Nous avons constitué et analysé un corpus de douze jeux qui répondent à cette définition, produits entre 2007 et 2012 dans différents pays européens et nord-américains. Nous avons retenus les jpc sur lesquels nous avions pu récolter des informations suffisantes, en termes de méthodologie de conception et d’évaluation, contexte d’usage, à la fois dans la littérature grise (rapports internes, thèses de doctorat) et dans les publications indexées dans les bases documentaires (Ebsco, Psycinfo, etc.). Ces informations nécessaires concernent notamment :

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  • le descriptif des missions données ;
  • des détails sur l’exploitation des espaces virtuels et réels dans lesquels se déroule le jeu ;
  • le type d’organisation entre les joueurs que les concepteurs du jeu ont prévu et qui est généralement de deux types : coopération ou compétition ;
  • la nature du contenu créé par les joueurs, le cas échéant, ainsi que le contexte qui a mené à cette création (une mission donnée, l’initiative d’un groupe, etc.) ;
  • la gestion du temps.

30 Dans la majorité des jp sur support mobile (par exemple : Prisoner Escape From the Tower – Hewlett Packard Laboratories, Historical Royal Palaces, 2008), ces informations sont centralisées sur les pages web des créateurs, de l’institution culturelle ou dans des articles de recherche. Dans le cas des jeux en réalité alternée, en tant que dispositif transmédia, leur nature rend le processus de collecte d’informations plus complexe : il est nécessaire de consulter plusieurs pages web affichant les blogs des personnages principaux, leur profil sur les réseaux sociaux, les sujets consacrés à ce jeu sur les forums de joueurs, les vidéos diffusées par les personnages, le dossier de presse, les sites constitutifs du jeu, les wikis créés par les joueurs. De fait, se pose le problème d’accès à certaines de ces pages pour les jeux les plus anciens.

31 Malgré ces limites, nous avons rassemblé les informations disponibles concernant les onze jpc qui constituent notre corpus (annexe). Nous les avons regroupées en trois catégories en raison de leurs spécificités d’appropriation, tout en respectant les éléments constitutifs de la notion de médiation culturelle présentés auparavant.

32 Dans la catégorie « participation à un événement culturel », nous avons inséré les jpc qui stimulent la participation active à un événement culturel à durée limitée. Ces jpc se déroulent pendant la période qui précède l’événement, ou bien en font partie intégrante, et leur univers narratif s’articule autour de la thématique de l’événement. Par exemple, en 2011, sous l’égide de l’université d’Ulster (Irlande du Nord), une équipe de chercheurs créa le jpc nommé [In]visible Belfast (Festival du Livre de Belfast, 2011), afin de diffuser et faire participer les individus à un important événement culturel, à savoir le festival du Livre de Belfast.

33 La deuxième catégorie regroupe les jpc favorisant l’appropriation des lieux historiques. Ces jpc proposent au joueur un scénario uchronique (Henriet, 1999), où la trame narrative n’est pas conforme à l’histoire réelle des sites culturels, laissant au joueur la liberté de partir d’une situation historique existante et, soit d’imaginer un autre déroulement possible des événements historiques, soit de vivre une aventure fictionnelle dans le lieu historique.

34 La troisième catégorie est constituée de jpc destinés à transmettre au public, surtout jeune, une image plus conviviale et moins austère d’une institution, telle une bibliothèque, un musée, favorisant ainsi l’appropriation des valeurs et des pratiques culturelles associées.

35 Les jpc de notre corpus ont quelques traits communs. Les participants peuvent : coopérer et former des équipes plutôt que d’être en compétition les uns avec les autres ; s’engager dans des activités de découverte active ; créer et co-créer des objets culturels. Nous rappelons cependant l’existence de certaines nuances. Par exemple, le jeu Cherche Tom dans la nuit (Nuit européenne des musées, 2011) préfigure un seul joueur même s’il encourage la coopération. De même, dans le jeu Éduque le troll (Centre Pompidou, 2012), la relation de coopération encouragée engendre aussi une forme d’émulation ou de compétition, notamment pour être le premier à atteindre un objectif précis, comme le gain d’un ouvrage. En résumé, ces caractéristiques sont compatibles avec les attentes des publics susceptibles d’utiliser des dispositifs multimédias à visée culturelle (Davallon et al., 1999 ; Fourmentraux, 2006 ; Lambert, 2003).

Vers une taxonomie des jeux pervasifs culturels

36 Le jpc est un objet complexe, à la fois du point de vue scientifique et de la production médiatique. Comme nous venons de le souligner, les jpc de notre corpus répondent aux attentes des publics, notamment en ce qui concerne la création ou la co-création d’objets culturels et la valorisation sociale de ces expériences. à la lumière d’études ethnographiques consacrées à l’évaluation de l’appropriation des jpc par des publics (Bannon, Bowers, 2001 ; Ciolfi, Bannon, 2002 ; Filippini-Fantoni, 2004 ; Heath, Luff, Vom Lehn, Hindmarsh, Cleverly, 2002 ; Vom Lehn, Heath, Hindmarsh, 2001), nous considérons que ces attentes peuvent être satisfaites par les acteurs de la médiation culturelle à condition : d’exploiter les spécificités des dispositifs multimédias, et de créer des formes d’interactivité fonctionnelle avec les œuvres ; de proposer au public des activités engageantes, afin de stimuler des formes d’interaction sociale autour des œuvres.

37 Pour réussir le processus de réalisation d’un jpc, les acteurs impliqués doivent maîtriser de nombreuses compétences, qu’ils soient concepteurs de jeu, professionnels de la médiation, programmeurs, etc. Ces compétences relèvent de la médiation culturelle (guider les publics vers l’appropriation du patrimoine culturel, faciliter leurs accès à la connaissance des œuvres, etc.), des limites et des atouts des dispositifs multimédias (interactivité, ubiquité, etc.) et des caractéristiques immanentes des jpc (pervasivité, frontières expansives, etc.). Afin d’aider à soutenir les activités des chercheurs et des concepteurs des jpc, dans la partie suivante, nous décrivons un outillage conceptuel qui s’appuie sur une typologie.

Notre typologie des jeux pervasifs culturels

38 Afin de décrire les composants d’un jpc, nous proposons une typologie ouverte qui se différencie des travaux existants pour deux raisons. Primo, la plupart des typologies disponibles à ce jour sont inadaptées aux jpc car elles ne permettent ni de cerner leurs mécanismes ludiques spécifiques (Alvarez, Djaouti, 2010), ni de prendre en compte toutes les expansions de leurs frontières (Gentes, Guyot-Mbodji, Demeure, 2010). Secundo, les typologies existantes sont structurées selon des critères trop subjectifs (Elverdam, Aarseth, 2007) et leurs validités, interne et externe, sont insuffisantes.

39 Sur le plan formel, une typologie ouverte encourage l’ajout, la modification ou le rejet des dimensions individuelles sans pour autant compromettre son intégrité (ibid.). Ainsi les jeux en réalité alternée sont-ils des jp qui s’intègrent à la réalité au point que c’est la temporalité de cette dernière qui est appliquée dans le jeu et non une temporalité interne qui lui serait propre. Par exemple, cela se traduit par le fait que le joueur est soumis au temps qui s’écoule sans pouvoir ni mettre le jeu en pause, ni revenir en arrière en cas d’erreur. Dans ces cas précis, décrire la méta-catégorie « temps interne » n’a pas de sens et n’est, par ailleurs, pas nécessaire.

40 Sur le plan des contenus, la typologie (figure 1) rend compte des trois expansions caractérisant un jp, notamment les frontières spatiale, temporelle et sociale. Nous nous sommes inspirés de la typologie ouverte et multidimensionnelle proposée par Christian Elverdam et Espen Aarseth (2007) et issue des travaux d’Espen Aarseth, Marie Smedstad Solveig, et Lise Sunnanå (2003) qui permet de caractériser des jeux différents (échecs, volley-ball, World of Warcraft, …).

41

Figure 1. Typologie des jeux pervasifs culturels (adaptée d’Elverdam, Aarseth, 2007)

Figure 0

42 Nous l’avons adaptée au cas spécifique des jpc. Nous avons conservé certaines dimensions et méta-catégories (indiquées par un astérisque sur la figure 1). Pour faciliter la lisibilité et la compréhension de notre propos, nous présentons une version condensée de la typologie, car la version complète inclut toutes les valeurs possibles pour chaque dimension. Ainsi n’a-t-elle pas vocation à être utilisée en l’état par les concepteurs et les institutions culturelles, car il s’agit plutôt d’un schéma pour illustrer la logique sous-jacente et justifier notre approche de conception d’un outil méthodologique pour assister la conception de jpc. La typologie se compose de 9 méta-catégories regroupant 27 dimensions, pour un total de 71 valeurs. Il n’y aucune priorité dans l’application d’une catégorie pour l’analyse des jpc puisqu’elles sont indépendantes bien que complémentaires.

43 La typologie originale (Aarseth, Smedstad Solveig, Sunnanå, 2003; Elverdam, Aarseth, 2007) contient 8 méta-catégories, chacune regroupant plusieurs dimensions : « espace virtuel », « espace physique » [6][6]Les deux méta-catégories « espace physique » et « espace…, « temps interne » [7][7]La méta-catégorie « temps interne » permet de décrire le…, « temps externe » [8][8]La méta-catégorie « temps externe » permet de décrire le…, « composition des joueurs », « relation entre les joueurs » [9][9]Les dimensions que nous avons conservées dans la méta-catégorie…, « état de jeu », « épreuve principale » [10][10]Les dimensions conservées dans la méta-catégorie « épreuve….

44 à partir de cette typologie, nous avons identifié les méta-catégories non adaptées aux jpc. Ainsi avons-nous écarté la méta-catégorie « état de jeu », qui contient une dimension concernant le type de sauvegarde proposé par le jeu. Puis, nous avons ajouté deux méta-catégories afin de caractériser l’aspect culturel des jpc : « contenu immatériel » et « contenu matériel ». Chaque méta-catégorie réunit trois dimensions complémentaires :

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  • le contenu du jeu, tel que proposé par l’équipe des concepteurs et médiateurs, respectivement sur les plans virtuel et réel ;
  • le contenu créé par les publics ;
  • les souvenirs, à savoir les contenus persistants du jeu tels un objet « collector » gagné pendant le déroulement du jeu (souvenir matériel) ou le blog touristique créé automatiquement à partir du parcours du visiteur (souvenir immatériel).

46 Nous avons également modifié les frontières expansives. Pour le « temps », nous avons réutilisé les méta-catégories déjà disponibles ainsi que leurs sous-catégories, à savoir « temps interne » et « temps externe ». Pour l’« espace », nous avons apporté une modification. Dans la typologie originale de Christian Elverdam et Espen Aarseth (2007), la catégorie « espace » est répartie entre deux méta-catégories : « espace virtuel » et « espace physique ». Outre les dimensions « positionnement » et « perspective », qui sont des dimensions communes aux deux espaces, la méta-catégorie « espace virtuel » intègre une dimension supplémentaire : « dynamique de l’environnement ». Celle-ci décrit le degré de changements que peut effectuer le joueur dans l’espace virtuel du jeu (aucun changement, changement limité, changement libre). Afin de caractériser l’extension spatiale des frontières caractérisant le jp, cette dimension a également été ajoutée à la méta-catégorie « espace physique » pour décrire les changements effectués dans l’espace réel avec les valeurs « aucun » et « limité ». Cette catégorisation permet de mieux décrire les composants. Par exemple, dans les jpc re xplorer et Prisoner Escape from the Tower, les joueurs ne pouvaient pas modifier l’environnement réel de la ville de Regensburg ou de la Tour de Londres, alors que dans Ghosts of a Chance, les joueurs avaient la possibilité de créer les œuvres qui étaient enregistrées et exposées dans le musée Smithsonian (Washington, États-Unis), modifiant ainsi collectivement l’environnement muséal.

47 La caractérisation de l’expansion sociale a requis la création d’une nouvelle méta-catégorie, « cadre social », structurée en deux dimensions, « rôle » et « perception du cadre de performance ». Cet ajout à la typologie de Christian Elverdam et Espen Aarseth (2007) a été nécessaire car la méta-catégorie « relations entre joueurs » et ses dimensions (« lien », « composition », « évaluation ») ne caractérisent que les relations entre joueurs. Or, l’expansion sociale repose sur l’ambiguïté dans l’identification des joueurs, les personnages incarnés par des acteurs et les non-participants. Ainsi, dans la dimension « rôle », avons-nous inclus trois valeurs pour décrire le genre de rôle choisi par le joueur :

48

  • « personnage créé par le joueur » lorsque le joueur crée un nouveau personnage pour le jeu ;
  • « aucun » lorsque le joueur joue son propre rôle ;
  • « personnage historique » lorsque le joueur incarne un personnage ayant réellement existé dans l’histoire.

49 Dans la même catégorie du « cadre social », la dimension « perception du cadre de performance » permet de décrire en détail la stratégie utilisée par les concepteurs du jeu pour brouiller les limites sociales entre le jeu et la réalité. Steve Benford et al. (2006) identifient deux stratégies antithétiques. La première fait apparaître les limites sociales comme étant plus étendues : ainsi les joueurs ont-ils l’impression que les personnes non impliquées dans les jeux (les badauds) sont des acteurs participant au jeu alors qu’ils ne le sont pas. La seconde stratégie fait apparaître les limites sociales comme étant moins étendues : les joueurs ont l’impression que les acteurs du jeu, les espaces contrôlés ainsi que certains accessoires sont extérieurs au jeu. à ces stratégies constatées dans la littérature (Benford et al., 2006), nous en avons ajouté une troisième, que nous appelons « identique », qui permet de ne pas créer d’ambiguïté entre les joueurs, les acteurs et les non-participants. Elle a été exploitée dans certains jpc, notamment dans le jeu The Mystery Guest où l’identification des éléments du jeu était parfaitement claire.

D’une typologie descriptive à une taxonomie explicative

50 Le but scientifique d’une typologie est d’aider les chercheurs à organiser et à mieux appréhender des phénomènes complexes en ordonnant des composants hétéroclites en ensembles plus homogènes. Pour cela, les chercheurs doivent créer une organisation conceptuelle afin d’établir des similarités et des différences (Bailey, 1994 : 33).

51 Cette organisation conceptuelle peut avoir trois niveaux : descriptif, taxonomique et explicatif (Bailey, 1994 ; Hempel, 1965 ; Marradi, 1990). Le niveau descriptif consiste à définir les concepts (c’est-à-dire les types) à utiliser pour caractériser les phénomènes. Ainsi notre typologie des jpc permet-elle de comprendre dans la méta-catégorie « cadre social » le « rôle » incarné par le joueur et la stratégie de « perception du cadre de performance » implémentée dans le jeu. Le niveau taxonomique permet d’associer des exemples de phénomènes observables et mesurables aux concepts définis au niveau descriptif (Bailey, 1994). à ce niveau, la typologie sert à classifier et à associer un phénomène à un concept afin de structurer et différencier de manière plus fine la variété des caractéristiques des jp, ce qui n’est pas permis lorsqu’on emploie une classification par genre. Par exemple, Ghosts of a Chance et Miracle Mile Paradox sont deux jeux en réalité alternée (arg) réalisés pour encourager les participants à se familiariser avec ou découvrir autrement, respectivement, le Smithsonian Museum of American Art et le quartier Miracle Mile de Los Angeles. Or, bien qu’ils appartiennent au même genre et aient la même finalité, la différence fondamentale concerne les tâches que les joueurs devaient accomplir. Plus précisément, dans Ghosts of a Chance, les joueurs ne pouvaient que créer des œuvres d’art pour répondre à des missions ponctuelles alors que, dans Miracle Mile Paradox, en plus des éléments créés pour accomplir leur mission, les joueurs ont créé des objets de manière spontanée qu’ils ont utilisés dans le jeu. Une typologie par genre ne peut pas catégoriser cette différence, tandis que la typologie de jpc que nous proposons (figure 1) associe deux valeurs, « requis par le jeu » et « requis par le jeu et à l’initiative du joueur », dans la dimension « contenu créé par les utilisateurs ». Ainsi, pour chaque dimension, les valeurs possibles offrent-elles une grande variété de combinaison, permettant de catégoriser plus facilement la complexité des jpc.

52 Au niveau explicatif, sur lequel nous travaillons actuellement, la taxonomie doit être enrichie des règles componentielles et inférentielles inhérentes à la création de jpc, ce qui est pour nous le niveau ontologique (Bachimont, 2000 ; Uschold, 1995). Selon les objectifs de l’institution culturelle et des concepteurs d’un jpc, elle permettra de préfigurer les composants d’un jpc, en associant les différents concepts (types) selon des règles. Deux exemples de granularité différente illustrent nos propos. Au niveau macro, si l’on veut concevoir (ou analyser) un jeu en réalité alternée, les dimensions « hâte », « contrôle de l’intervalle » et « synchronicité » prennent toutes la valeur « absent ». Au niveau micro, si l’on veut caractériser la disponibilité d’un contenu immatériel dans un jpc (par exemple, tout contenu multimédia, articles de blogs, messages sur les réseaux sociaux et tout contenu qui a un rapport avec les aspects culturels ou narratifs du jeu), alors la dimension « contenu » de la méta-catégorie « contenu immatériel » est différente de la valeur « aucun ».

53 La consolidation du niveau explicatif représente l’étape nécessaire pour créer un outil logiciel d’assistance à la conception et l’analyse des jpc.

Conclusion

54 Issus de l’intégration des technologies pervasives et du processus de convergence médiatique, les jeux pervasifs culturels semblent être une réponse innovante adéquate aux attentes de nouveaux publics qui recherchent des contenus via des formes d’interactivité offerte par les technologies multimédias. Notre contribution avait un double objectif. Primo, définir sur les plans intensionnel et extensionnel les jpc. Pour cela, outre montrer l’ancrage des jpc aux jeux pervasifs, nous avons constitué un corpus représentatif de jpc. Secundo, afin de comprendre l’étendue et les composants d’un jpc, nous avons proposé une typologie spécifique. Notre typologie est évolutive et se compose de macro-catégories permettant l’identification et la catégorisation des traits caractéristiques à travers les différentes « dimensions ».

55 Cependant, cette typologie ne représente qu’une étape intermédiaire dans notre recherche. En effet, notre objectif à long terme est de mettre au point un instrument méthodologique pour soutenir la création des jpc. De nombreux auteurs ont constaté que l’absence d’outils méthodologiques peut induire des difficultés auprès des concepteurs de jeux impliqués à décrire formellement (c’est-à-dire concepts, traits) et à argumenter leurs choix de conception (Church, 1999 ; Elverdam, Aarseth, 2007 ; Zagal, Mateas, Fernández-Vara, Hochhalter, Lichti, 2005 ; Zagal, Bruckman, 2008). Ces difficultés ne peuvent que s’amplifier dans un contexte professionnel multidisciplinaire comme celui des jpc où des spécialistes du jeu doivent collaborer avec des spécialistes de la médiation culturelle et des technologies multimédias. Dans ce contexte, une typologie facilite le processus de conception collective par la mise à disposition d’un langage commun, permettant la compréhension explicite et mutuelle des représentations des participants (Lawrence, 1994), transformant ainsi un problème mal défini en un problème bien défini (Gero, Maher, 1993 ; Simon, 1981). Cela étant, afin de faciliter la conception des jpc, notre objectif est de concevoir un outil logiciel d’aide à la conception des jpc. Notre prochaine étape prévoit donc la création d’une ontologie des jpc, c’est-à-dire d’une description formalisée de concepts, des relations entre ces concepts et des règles permettant leur composition (Gruber, 1993). Cette description est non seulement formelle mais partagée, dans le sens où elle fait l’objet d’un accord entre les différents chercheurs de la communauté scientifique qui participent à la création d’ontologies (Borst, 1997 ; Szilagyi, 2014). Ces deux caractéristiques permettent sa réutilisation. Pour les connaissances spécifiques à la médiation culturelle, nous mobiliserons les travaux conduits sur les ontologies de la culture (Blanchard, Mizoguchi, Lajoie, 2010). Cette étape permettra de construire une base de connaissances que nous exploiterons afin de réaliser une application d’aide à la conception de jeux pervasifs culturels.

Annexes

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Tableau. Corpus de jeux pervasifs culturels

Figure 0

Tableau. Corpus de jeux pervasifs culturels

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Figure 0

Notes

  • [1]
    Le terme paréidolie désigne un phénomène naturel qui consiste à donner une interprétation erronée et précise à un stimulus visuel ambigu. Il s’agit par exemple de reconnaître un animal dans la forme d’un nuage ou une forme humaine dans les coulures d’une bougie.
  • [2]
    La locution informatique ubiquitaire désigne un paradigme de conception de système informatique où les dispositifs « disparaissent » aux yeux des utilisateurs, mais sont néanmoins omniprésents car intégrés dans l’environnement de l’utilisateur (Weiser, 1991).
  • [3]
    Inexistant en français, le terme gameplay décrit les éléments caractéristiques de l’expérience ludique proposée par le jeu.
  • [4]
     Uncle Roy All Around You (uray) est un jeu urbain dans lequel les joueurs devaient retrouver un personnage, oncle Roy, à l’issue d’un jeu de piste à travers la ville.
  • [5]
    Le caractère procédural est un des aspects fondamentaux des environnements numériques (Murray, 1998) et désigne la capacité d’un ordinateur à exécuter une série de règles définies dans le code informatique afin de générer une représentation de ces règles, représentation à laquelle les joueurs peuvent attribuer un sens (Bogost, 2007 ; Mateas, Stern, 2007).
  • [6]
    Les deux méta-catégories « espace physique » et « espace virtuel » décrivent les espaces dans lesquels se déroule le jeu. Chaque espace est caractérisé par trois dimensions : « perspective » (le joueur voit-il complètement l’espace ou n’en voit-il qu’une partie selon son positionnement ?) ; « dynamique de l’environnement » (le joueur peut-il modifier l’espace de jeu librement ? Les modifications sont-elles possibles mais de manière limitée en termes de positionnement des objets créés/modifiés ? Sont-elles interdites ?) ; « positionnement » (comment est évaluée la position du joueur : avec un système de coordonnées absolues ou par rapport à la position d’un élément de son environnement ?).
  • [7]
    La méta-catégorie « temps interne » permet de décrire le passage du temps dans l’univers du jeu (gameworld) avec trois dimensions : « hâte » (le jeu est-il altéré par le passage du temps dans la réalité ?) ; « synchronicité » (les acteurs du jeu – personnages joueurs, personnages non joueurs, créatures – peuvent-ils agir simultanément ?) ; « contrôle de l’intervalle  » (les joueurs décident-ils du début d’une nouvelle phase de jeu ?).
  • [8]
    La méta-catégorie « temps externe » permet de décrire le rapport entre passage du temps dans la réalité et passage du temps dans l’univers du jeu. Elle contient deux dimensions : « téléologie » (le jeu a-t-il une durée finie ou est-il persistant ?) ; « représentation » (le passage dans le jeu est-il représenté de manière similaire au déroulement du temps dans la réalité ou est-il représenté de manière tout à fait différente ?).
  • [9]
    Les dimensions que nous avons conservées dans la méta-catégorie « relation entre les joueurs » concernent l’évaluation des joueurs (collective ou individuelle) et le lien entre eux (dynamique ou statique).
  • [10]
    Les dimensions conservées dans la méta-catégorie « épreuve principale » concernent les buts que doivent atteindre les joueurs pour gagner (les mêmes buts à chaque partie ? Sont-ils différents ?) et le type de challenge qui leur est proposé (est-il différent ou bien identique à chaque partie ? dépend-il d’un acteur autonome du jeu comme par exemple un autre joueur ?).
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/03/2016
https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.10019
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