1Arbre généalogique, branches de la connaissance, ramifications de la pensée, terreau culturel, racines linguistiques... autant de métaphores passées dans la langue courante qui témoignent d’une imprégnation diffuse et ancienne de l’image de l’arbre dans les représentations occidentales. La pensée conceptualisante a trouvé dans cette figure un schématisme extrêmement puissant qui a essaimé dans tous les domaines de l’action et de la pensée humaines, où elle s’est imposée comme un modèle quasi universel d’organisation de la pensée. Son ubiquité et sa permanence hors du commun s’expliquent par une organisation topologique marquée par des valeurs d’unité, d’ordre et d’organicité qui en font un vecteur de hiérarchisation et de naturalisation. Si les modèles arborescents restent aujourd’hui présents dans de nombreuses démarches scientifiques ou artistiques, c’est qu’ils ont la capacité d’articuler un principe statique d’ordre et un principe évolutif de croissance, grâce auxquels ils peuvent recouvrir des dynamiques très distinctes : ils permettent aussi bien de créer des hiérarchies conceptuelles que des ramifications plastiques, d’établir des liens cohérents entre le Tout et les parties que d’offrir une vision synoptique et panoptique de ces rapports ; ce sont également des outils taxinomiques très efficaces pour classer et mettre en ordre la connaissance, modéliser des relations généalogiques ou guider la fabrique de l’histoire [1][1]Cf. sur cette question l’article de J. Jochen Berns,…. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, d’autant que la déclinaison du mot « arbre » en « arborescence », du latin arborescere arborescentem – vient enrichir le modèle de potentiels dynamiques qui légitiment sa convocation méthodologique pour rendre compte de procédés en cours ou de processus évolutifs [2][2]Cette étude s’appuie largement sur les différents textes parus…. Parce qu’il organise la diachronie en synchronie, l’arbre permet en effet de schématiser idéalement les processus héréditaires et les liens généalogiques, d’où son utilisation pour modéliser les liens familiaux dans le domaine de l’histoire ou dans l’anthropologie de la parenté. De l’Antiquité à la Renaissance, les schèmes arborescents ont régi la grande majorité des processus de fabrique de l’histoire des parentés, tant charnelles que spirituelles, que ce soit à travers le modèle de la généalogie ascendante tiré de l’arbre de Jessé ou celui de la généalogie descendante, tel qu’on le trouve dans les stemmata de la Rome antique qui hiérarchisent les membres d’une famille [3][3]Voir le texte de présentation du site « Trames arborescentes »,….
2Cette plasticité, ajoutée à la variabilité formelle et figurative qu’on lui connaît, ont conféré à l’arbre la puissance d’une image pourvue d’un privilège d’intelligibilité immédiate dans tous les domaines. L’arbre n’est pas seulement un signe, il est le signe des signes, le diagramme des diagrammes, celui qui est le mieux en prise avec le réel et son devenir. Qu’il s’incarne dans des images matérielles, des images mentales ou des images métaphoriques, il affirme sa puissance organisatrice dans tous les domaines depuis les débuts de la pensée moderne jusqu’à l’ère numérique. Mais d’où lui vient le potentiel heuristique qui lui permet de guider la pensée dans les processus de réflexion et de production théoriques, scientifiques ou artistiques ? De ses propriétés topologiques, du travail de visualisation qu’il rend possible ou de la mémoire symbolique dont il est porteur ? Ou découle-t-il plutôt d’une plasticité hors du commun, qui lui a permis de se transformer dans toutes ses relations au fil des réinterprétations et des reconfigurations dont il a fait l’objet ? C’est l’hypothèse qui nous guidera ici et qui nous amènera à voir comment l’arbre est parvenu à se maintenir dans le temps en se réinventant constamment.
L’arbre, diagramme des diagrammes
3C’est d’abord dans l’ordre du mythe que s’exprime le schématisme imaginal de l’arbre. Selon Mircea Eliade, sa simple présence (sa « puissance ») et sa loi d’évolution (la « régénération ») lui permettent de répéter « ce qui, pour l’expérience archaïque, est le Cosmos tout entier. L’arbre peut donc, sans doute, devenir un symbole de l’univers, forme sous laquelle nous le rencontrons dans les civilisations évoluées, mais pour les civilisations archaïques, l’arbre est l’univers ; c’est qu’il le répète et le résume en même temps qu’il le symbolise [4][4]M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1970,… ». Dans l’expérience mythico-religieuse, l’arbre est promesse d’une épiphanie de sens dont la portée évoque non seulement la destinée de l’homme mais la structure entière de l’univers [5][5]G. Gusdorf, Fondements du savoir romantique, Paris, Payot,…. C’est moins à ses propriétés structurelles ou à son efficacité organisationnelle qu’à sa dimension symbolique qu’il doit alors son pouvoir d’irradiation culturelle. Dans La terre et les rêveries du repos, Bachelard a réactivé cet imaginaire cosmologique en décrivant l’arbre comme un médiateur entre le ciel et la terre :
Vivre comme un arbre ! Quel accroissement ! [...] Aussitôt, en nous, nous sentons les racines travailler, nous sentons que le passé n’est pas mort, que nous avons quelque chose à faire, aujourd’hui, dans notre vie obscure, dans notre vie souterraine, dans notre vie solitaire, dans notre vie aérienne. L’arbre est partout à la fois [6][6]G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Paris, Corti,….
5L’arbre est simultanément principe de totalité – il est « partout à la fois » – et principe de métamorphose puisqu’il relie chacun au passé et au futur du cosmos selon un axe vertical qui est à la fois temporel et spatial. Au cours du temps, le modèle cosmologique a donné lieu à deux grands types de représentations : l’arbre de vie (l’arbre de l’évolution naturelle et singulière des espèces) et l’arbre de la connaissance (l’arbre de l’évolution artificielle et universelle des sciences) qui suppose un dépassement de la nature [7][7]B. Saint Girons, « L’arbre ou le corail : comment imaginer la…. Ainsi se sont développées deux grandes familles de diagrammes, aux objets très différents – des connaissances d’un côté, des êtres de l’autre –, mais qui exploitent toutes deux les propriétés topologiques de l’arbre – verticalité, structure ramifiée et hiérarchique, divisibilité – pour classer, catégoriser, organiser, hiérarchiser.
6Aux origines de l’arbre comme outil de classement, l’arbre de Porphyre, Arbor porphyriana, joue un rôle essentiel. La structure hiérarchique inventée par le philosophe néoplatonicien du iiie siècle de notre ère présente les bases de la logique d’Aristote sous la forme d’un schéma aux divisions dichotomiques qui forment des arborescences indiquant les relations hiérarchiques entre genres et espèces. Le philosophe imagine trois rangées ou colonnes de mots : celle du milieu, analogue à un tronc, contient les séries du genre et de l’espèce ; les rangées de gauche et de droite, analogues aux branches d’un arbre, contiennent les différences [8][8]Voir l’article de Y. Hersant, « Arbor Gilpiniana », dans J.…. Se réclamant de Platon, qui recommandait de partir des genres les plus généraux pour descendre vers les espèces les plus spéciales, Porphyre indique au moyen de son arbre qu’une espèce est définie par genre et différence générique, et que ce procédé de division se répète jusqu’à ce que l’on ait atteint l’espèce la plus spécialisée : « dans chaque catégorie, il y a certains termes qui sont les genres les plus généraux, d’autres qui sont les espèces les plus spéciales, d’autres enfin qui sont intermédiaires [...] qui sont à la fois genres et espèces [9][9]Porphyre, Isagoge 4.15, trad. fr A. de Libera et A.-Ph.… ». Livrant une représentation hiérarchique des êtres à partir d’un principe générateur unique, l’arbre de Porphyre n’est pas une structure logique abstraite mais, selon Étienne Gilson, une structure ontologique :
la division et l’analyse ne sont pas simplement des méthodes abstraites de décomposition ou de composition des idées, mais la loi même des êtres. L’univers est une vaste dialectique, régie par une méthode interne [...]. Le double mouvement de la dialectique n’est donc ni une règle purement formelle de la pensée, ni une invention arbitraire de l’esprit humain. Elle s’impose à la raison comme vraie, parce qu’elle est inscrite dans les choses, où la raison ne fait que la découvrir [10][10]É. Gilson, La philosophie au Moyen Âge. Paris, Paris, Payot,….
8Avec ses méthodes de division et d’analyse, la dialectique ne propose donc pas un cadre arbitraire pour la pensée mais un décalque de la complexité ordonnée et hiérarchique du réel. Entre le réel et la pensée, il y a une relation d’homologie, autrement dit une relation iconique qui manifeste une ressemblance abstraite, structurale entre eux : « L’ordonnancement ontologique des existants en genres, espèces et individus n’est pas une conjecture artificielle de l’esprit humain, mais une présentation, une transposition de la structure complexe du réel, classement logique et hiérarchie ontologique sont similaires, double expression d’une même réalité [11][11]C. Erismann, « Processio id est multiplicatio. L’influence… ». Le primat accordé aux principes de la division et de l’analyse fait clairement apparaître la métaphysique néoplatonicienne qui est sous-jacente à l’œuvre de Porphyre : la dichotomie et la division sont en effet au principe de la dialectique, que Platon considérait comme l’essence même de la pensée philosophique. C’est encore à partir de ce modèle que Bachelard pensera le développement de la connaissance au xxe siècle. Voyant dans l’arbre une véritable analyse en acte, il en fait « le modèle de toute progression par division de l’acte précédent » [12][12]G. Bachelard, L’air et les songes, Paris, Corti, 1943, p. 19. :
Le départ culturel de la science prime désormais tout départ naturel. [...] À qui veut faire la psychologie de l’esprit scientifique, pas de meilleur moyen que de suivre un axe précis de progrès, de vivre la croissance d’un arbre de la connaissance, la généalogie même de la vérité progressive. Dans l’axe du progrès de la connaissance scientifique, l’essence de la vérité est solidaire de sa croissance, solidaire de l’extension de son champ de preuves [13][13]Ibid..
10Figurant un accroissement réglé, le schème de l’arbre implique à la fois l’idée de progrès – dynamisme ascensionnel et épanouissement en hauteur – et celle de solidarité avec l’histoire – ancrage dans le passé et vérification croissante – ce qui en fait un modèle idéal pour penser la dynamique de la connaissance. Au Moyen Âge, les schèmes arborescents seront notamment appelés à traduire une quête d’ordonnancement graduel du savoir, leur structure verticale jouant comme image d’un processus d’élévation ou de progrès. Par ailleurs, de nombreuses études consacrées aux images médiévales et renaissantes d’arbres ont mis au jour leur fondement mnémotechnique, qui explique leur rôle central dans les différents procédés d’acquisition du savoir : organisant visuellement une matière donnée, l’arbre en permet une durable assimilation mentale [14][14]Voir l’appel à communication pour le colloque « Trames…. Du modèle pythagoricien de la connaissance perdue qu’il s’agit de retrouver par la mémoire jusqu’à l’affirmation d’une vision progressiste de l’histoire et des sciences à la fin de l’humanisme en passant par l’organisation arborescente des arts et des sciences, l’arbre devient un principe d’organisation généalogique qui permet de figurer aussi bien une taxinomie générationnelle des savoirs qu’un imaginaire fondé sur la transmission, pour finalement ouvrir la voie à une réflexion plus générale sur la dimension historique et historiée du savoir. Dans L’Arbre de science (Arbor scientiae, 1296), le Catalan Raymond Lulle convoque le diagramme arborescent pour le mettre au service d’une présentation encyclopédique et allégorique du savoir : chaque domaine des choses divines et humaines se subdivise en sept parties qui ont pour nom racines, tronc, branches, rameaux, feuilles, fleurs, fruits. L’image des racines, qui se reflète dans les ramifications des branches, peut guider la compréhension parce qu’elle permet de penser des réseaux complexes de lignes qui croissent en divergeant, par scissions recommencées, à partir d’un tronc commun. Cette fonction de l’arbre comme principe d’organisation et de totalisation des savoirs se retrouve plus tard chez Descartes, dans sa « Lettre-préface » aux Principes de la philosophie :
Ainsi toute la philosophie est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui, présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse [15][15]R. Descartes, Lettre-préface des Principes de la philosophie,….
12Au xviiie siècle, l’arbre cartésien commence à devenir impossible mais il survivra à l’éclatement moderne des savoirs à travers diverses tentatives, notamment celle des romantiques allemands qui voient en lui « une source et une ressource de la compréhension universelle [16][16]G. Gusdorf, Fondements du savoir romantique, op. cit., p. 440. », un modèle d’intelligibilité de la vie par germination et déploiement spatial. La puissance du végétal, qui se divise de lui-même spontanément, leur fournit une image convaincante du savoir et de sa croissance organique, par opposition à l’ordonnancement mathématique de la philosophie en faveur aux xviie et xviiie siècles. Mais ce sont surtout les grands ouvrages encyclopédiques de l’époque qui vont mettre à l’honneur les propriétés diagrammatiques de l’arbre en le mobilisant comme outil d’articulation et de synthétisation des savoirs.
De l’Encyclopédie à l’hypertexte
13La pratique commune qui consiste à utiliser le modèle de l’arbre pour ordonner la connaissance s’explique par sa structure ramifiée qui lui permet d’établir des relations hiérarchiques entre les différents domaines de la connaissance, tout en offrant une image synthétique, globale et identifiable de leurs relations. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, n’y fait pas exception : elle est introduite par un tableau arborescent (fig. de gauche) qui est d’abord exposé à la fin de la présentation liminaire. Fondé sur les facultés humaines, l’ordre des connaissances se présente sous la forme d’un diagramme vertical, hiérarchisé et abstrait, qui est à nouveau représenté au début de l’index en deux volumes de l’Encyclopédie, cette fois sous une forme figurative (fig. de droite) ayant pour titre : « Essai d’une distribution généalogique des Sciences et des Arts Principaux ». Le « Système figuré » rattache l’ensemble des savoirs humains à l’exercice des trois facultés principales de l’entendement : la mémoire, la raison et l’imagination. Du tronc de l’entendement humain partent les trois branches principales (la mémoire, la raison et l’imagination), qui se divisent à leur tour en sous-branches, rameaux et feuilles (les sciences organisées en catégories et sous-catégories). Pour les deux jeunes éditeurs de l’Encyclopédie, il ne s’agit pas seulement de réunir de façon cumulative l’ensemble des connaissances de leur temps mais aussi d’en explorer les liens en exposant autant que possible leur ordre et leur enchaînement [17][17]Sur cette question, voir le collectif dirigé par A. Cernuschi,…. Les premières lignes du « Discours préliminaire » soulignent d’emblée l’importance de ne pas de se limiter à collectionner les connaissances mais de trouver une forme qui constitue un tout organisé, synthétique et cohérent. Il s’agit de classer les connaissances humaines en domaines et sous-domaines, en adoptant un ordre qui se définit par « trois choses » : « le nom de la Science à laquelle l’article appartient ; le rang de cette Science dans l’Arbre ; la liaison de l’article avec d’autres dans la même Science ou dans une Science différente ; liaison indiquée par les renvois, ou facile à sentir au moyen des termes techniques expliqués suivant leur ordre alphabétique [18][18]A. Cernuschi, A. Guilbaud, M. Leca-Tsiomis, I. Passeron, Oser… ». L’ordre encyclopédique va ainsi prendre la forme d’un tableau systématique de l’organisation des connaissances qui sera figuré par un arbre avec un tronc et des ramifications. Mais à côté du « système figuré », un autre modèle lui fait concurrence qui correspond à la forme du dictionnaire : il renvoie à la simple collection de connaissances à l’intérieur d’un même espace, classées selon un ordre conventionnel, indépendant du contenu des articles : l’ordre alphabétique.
Système figuré des connaissances humaines.
Système figuré des connaissances humaines.
14Pour compenser l’émiettement de l’ordre alphabétique, Diderot et d’Alembert proposent un système de renvois qui doit favoriser la circulation encyclopédique à l’intérieur de l’ensemble des savoirs et permettre d’appréhender les connaissances comme un tout, selon la logique universaliste caractéristique des Lumières. Les renvois ne sont pas considérés comme une simple référence explicative mais comme un moyen de tisser le réseau serré qui fait de l’ensemble du savoir humain un continuum. Les deux auteurs insistent en effet sur la « liaison que les découvertes ont entre elles », sur les secours que « les sciences et les arts se prêtent mutuellement », sur « la généalogie et la filiation » des connaissances [19][19]Ibid., p. 91.. Or si les volumes de l’Encyclopédie ont bien été conçus pour favoriser les liaisons entre les connaissances au-delà de la dispersion alphabétique imposée par la forme du dictionnaire, l’ordre latent tissé par les renvois ne correspond pas à une organisation arborescente. En effet, si l’on suit l’un des cheminements proposés par le système des renvois, on se rend compte que le parcours ne suit pas les branches de l’arbre des connaissances mais qu’il saute au contraire d’une branche à l’autre. Tout se passe comme si le modèle arborescent était une sorte de « maquette de laboratoire » qui avait permis de penser les liaisons entre les différents savoirs mais sans correspondre à son mode d’organisation effectif [20][20]A. Cernuschi, A. Guilbaud, M. Leca-Tsiomis, I. Passeron, Oser…. Il y a donc un hiatus entre le diagramme chargé de visualiser la topographie des connaissances telle qu’elle apparaît dans le corpus de l’Encyclopédie et les renvois qui construisent un système virtuel distinct du modèle arborescent. Alors que le Système figuré est un tableau synthétique, immédiatement saisissable dans son ensemble, la structure générale imposée par les renvois est impossible à envisager dans sa totalité : 23 000 articles comportent au moins un renvoi, de sorte que leur nombre total s’élève à 61 700. Chargés d’aiguiller directement le lecteur dans sa circulation à l’intérieur de l’encyclopédie, les renvois construisent des trajets possibles pour le lecteur/voyageur qui se meut ainsi à l’intérieur d’une carte de référence où il peut déterminer sa position exacte [21][21]Ibid., p. 48.. À ceci près que la carte du voyageur est ici constituée par toute la hiérarchie du savoir humain, ouvrant ainsi l’aventure de la lecture sur l’infini. L’illimitation des renvois s’explique par la nature même du projet encyclopédique qui exige une forme ouverte, non totalisable, dont la carte donne une meilleure traduction que l’arbre. Étant à l’orientation spatiale ou géographique ce que le diagramme est à l’orientation dans le champ cognitif, la carte permet de s’orienter, de transformer un espace étranger en un espace d’action potentiel pour son utilisateur qui pourra s’y mouvoir et y agir. Ce qui la distingue de l’arbre, c’est qu’elle propose une représentation dynamique, faite de trajets et de parcours plutôt que d’emplacements définis. Alors que la carte privilégie les relations spatiales, de proximité ou d’éloignement, l’arbre donne plutôt à voir des relations généalogiques.
15Autrefois utilisée par les encyclopédistes, la métaphore de la carte a aujourd’hui cédé la place à une autre image pour caractériser le système des renvois de l’Encyclopédie : celle de l’hypertexte qui a souvent été décrit comme l’ancêtre de l’encyclopédie tandis que Diderot devenait « l’internaute d’hier [22][22]É. Brian, « L’ancêtre de l’hypertexte », Les Cahiers de Science… ». Contrairement aux textes traditionnels, l’hypertexte n’est pas une entité « fixe, délimitée, organisée séquentiellement » mais « un ensemble virtuel composé de fragments délocalisables, agençables en fonction de l’actualisation des liens associatifs potentiels [23][23]C. Durieux, « Texte, contexte, hypertexte », Cahier du C.I.E.L.… ». L’hypertexte marque une rupture dans le processus de lecture au sens où le lecteur n’est pas tenu de lire l’intégralité du document hypertextuel (et ne le fait pas en général) tandis que la lecture d’un livre se fait généralement du début à la fin (ce qui ne vaut pas, bien sûr, pour l’Encyclopédie). Interdisant toute lecture linéaire, il favorise le passage constant d’une partie d’un document à une autre ou d’un document à d’autres documents. De même, l’Encyclopédie ne se parcourt pas de façon linéaire, le système de renvois et la présence de matériaux hétérogènes (textes, planches, tableaux, etc.) dessinant des parcours sinueux à l’intérieur d’un espace qui résiste à toute unification. Enfin, comme le souligne Christian Vandendorpe, l’abondance des données disponibles, jointe à une sollicitation constante de l’attention, impose dans l’hypertexte une « dynamique de lecture [...] caractérisée par un sentiment d’urgence, de discontinuité et de choix à effectuer constamment [24][24]C. Vandendorpe, Du Papyrus à l’hypertexte. Essai sur les… ». L’aspect « hypertextuel » de l’Encyclopédie est plus frappant encore dans les versions électroniques qui ont été produites par ARTFL [25][25]L. Andreev, J. Iverson et M. Olsen, « Re-engineering a… ou par l’ENCCRE en 2017 [26][26]L’acronyme ENCCRE renvoie à l’Édition Numérique Collaborative…. Dans les versions numériques, le lecteur a la possibilité de « naviguer » directement d’un article à un autre en cliquant sur les renvois, comme dans un véritable document hypertexte. Le système horizontal des renvois substitue à l’ordre hiérarchique un ordre rhizomatique qui permet de construire une multiplicité irréductible, sans origine ni fin unificatrice, un système ouvert défini par les réalités hétérogènes qu’il relie par la seule variabilité des mises en relation effectuées par le lecteur.
16L’Encyclopédie vit donc de la tension entre une totalité virtuelle qui s’annonce dès le début sous la forme actualisée d’un diagramme arborescent d’un côté et, de l’autre, le maillage des nœuds et des connexions qui tisse ses propres lignes de force dans l’espace du livre. Cette tension est le reflet de celle qui habite tout projet de totalisation du savoir : un tel projet requiert en effet un système rigoureux de classification et d’organisation des connaissances mais en même temps, il ne peut se passer d’un principe dynamique qui rende compte de la variabilité des relations entre elles et de leur évolution dans le temps.
Arbres mathématiques
17Depuis l’Antiquité, les arbres et les arborescences ont été mobilisés par les mathématiques pour schématiser des raisonnements ou formaliser leur langage, en exploitant non seulement leurs qualités graphiques, voire iconographiques, mais aussi logiques, mnémotechniques, heuristiques et symboliques. Il suffit d’ailleurs de penser aux « mots de l’arbre » – racines, souches, etc. – pour se convaincre de l’importance des diagrammes arborescents pour la pensée mathématique. Dès l’Antiquité tardive, des structures arborescentes apparaissent pour organiser les parties des mathématiques entre elles et pour spécifier leur rapport avec les autres domaines du savoir. Lorsque Boèce regroupe les quatre arts mathématiques au sein des arts libéraux sous l’appellation de « quadrivium », l’arbre devient un outil de classification qui permet d’établir des rapports de hiérarchie ou de généalogie entre les différentes parties des mathématiques. Mais l’arbre possède par lui-même des propriétés mathématiques qui seront exploitées, non seulement pour visualiser la taxinomie de la discipline, mais aussi pour naturaliser l’abstraction, innerver le raisonnement mathématique ou encore informer symboliquement l’écriture du langage mathématique [27][27]Cf. l’appel à communication pour la journée d’études consacrée…. Il apparaît très tôt dans la théorie des proportions qui traite de l’analogie, autrement dit du « rapport mathématique entre quantités » ou, plus précisément, de « l’égalité de deux rapports par proportion » [28][28]C’est le terme utilisé par Aristote pour marquer le type de…. Au xvie siècle, Gemma Frisius va proposer une transposition graphique de la théorie euclidienne des proportions sous la forme d’un arbre inversé (la « racine » se trouve placée en haut de la page) qui représente de manière synthétique différents rapports de proportions [29][29]Sur les rapports de l’arbre avec les mathématiques, voir…. De la transposition graphique des propositions euclidiennes à la modélisation informatique du calcul des proportions d’une fractale, le modèle arborescent se trouve ainsi au fondement de toute réflexion sur les rapports mathématiques [30][30]Ibid.. Les structures arborescentes ont aussi été utilisées pour innerver la progression d’un raisonnement mathématique, même lorsqu’il n’est pas matérialisé sous une forme figurative, comme par exemple dans la modélisation de la suite de Fibonacci. Sous sa forme graphique, plane, abstraite spatialisée, l’arbre a également joué un rôle important dans l’écriture du langage mathématique, où il a notamment servi une critique de la linéarité ordonnée finale du calcul, lui substituant une disposition en tableau ou en triangle, comme dans le triangle dit de Pascal ou « triangle arithmétique ». Selon Jean Dhombres, cette spatialisation de l’écriture marque le passage à une abstraction plus grande de la notation mathématique [31][31]Ibid., p. 376.. Rendant visible un rythme particulier de la pensée qui se coule dans une disposition non linéaire, elle montre à quel point l’ordre suivi dans le calcul ou la démonstration mathématique n’est pas naturel mais imposé par des modèles a priori [32][32]Ibid., p. 377..
18La spatialisation amorcée par le triangle arithmétique va trouver une suite objective dans la théorie des graphes dont les arbres sont des cas particuliers. En termes strictement mathématiques, un graphe peut être défini comme un ensemble de sommets et d’arêtes liant certains sommets. Lorsqu’un sommet est distingué par rapport aux autres et qu’il existe un chemin unique de lui vers tous les autres sommets, on le dénomme racine et la même structure d’arbre s’appelle alors arborescence [33][33]R. Faure, B. Lemaire et C. Picouleau, Précis de recherche…. La notion de connexité signifie qu’on peut aller par une succession d’arêtes de tout sommet à tout autre sommet. Quant au cycle, il est un chemin qui part d’un sommet et qui y revient en passant par d’autres sommets. Lorsqu’un graphe connexe ne contient pas de cycle, on parle d’un arbre [34][34]J. Dhombres, « Pourquoi analyser l’usage mathématique des mots…. Aujourd’hui, les diagrammes arborescents sont devenus omniprésents en informatique, où ils renvoient généralement à une organisation des données en mémoire, à la fois logique et hiérarchisée, qui utilise une structure algorithmique d’arbre. Sur le fond on peut considérer un arbre comme la généralisation d’une liste car toutes les listes peuvent être représentées par des arbres. Les organisations arborescentes rendent rend plus efficace la consultation et la manipulation des données stockées, ce qui explique leur succès en informatique, où elles servent principalement à l’organisation hiérarchique des fichiers sur une partition (arborescence de fichiers), au tri des données en mémoire (tri arborescent) et à l’organisation des fichiers en mode séquentiel indexé [35][35]Voir l’article « Arborescence » sur Wikipedia :….
19Parce qu’ils sont des outils de formalisation et d’abstraction, les diagrammes arborescents ont connu une grande fortune à l’ère structuraliste où ils ont été notamment convoqués dans les domaines de la linguistique et de la narratologie. En linguistique, les arbres syntaxiques de Chomsky ont été utilisés pour représenter la structure syntaxique d’une phrase ou d’un texte. Cette opération suppose une formalisation du texte, qui est vu le plus souvent comme élément d’un langage formel, défini par un ensemble de règles de syntaxe formant une grammaire formelle. La structure révélée par l’analyse donne alors précisément la façon dont les règles de syntaxe sont combinées dans le texte. Cette structure est souvent une hiérarchie de syntagmes, représentable par un arbre syntaxique qui décompose la phrase ou le texte en ses parties constitutives, tout en expliquant leur forme, leur fonction et leurs relations syntaxiques. La structure hiérarchique et ordonnée du modèle arborescent est particulièrement adéquate pour donner une représentation structurale du langage. Dans Le plaisir du texte, Roland Barthes l’a exprimé de manière très claire : « La Phrase est hiérarchique : elle implique des sujétions, des subordinations, des rections internes. De là son achèvement : comment une hiérarchie pourrait-elle rester ouverte ? La Phrase est achevée ; elle est même précisément : ce langage-là qui est achevé [36][36]R. Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 80. ». Dès sa constitution en tant que discipline, la narratologie a elle aussi recouru au modèle de l’arbre et au champ lexical de l’arborescence pour identifier, voire modéliser des processus à l’œuvre dans le récit. Ces modélisations ont parfois fait l’objet d’une transposition diagrammatique fondée sur la théorie des graphes. Il est intéressant de noter que les narratologues font souvent appel à la métaphore généalogique pour figurer la structure arborescente du langage. Ainsi, Patricia Drechsel Tobin compare la phrase à « une généalogie en miniature. À son origine, elle engendre une lignée de mots qu’elle entretient tout du long par une descendance ordonnée et une obéissance filiale, et par sa clôture, elle maintient la famille des mots en tant que totalité exclusive [37][37]P. D. Tobin, Time and the Novel. The Genealogical Imperative,… ». L’« impératif généalogique », annoncé par le sous-titre de l’ouvrage, impose à la phrase ses principes de hiérarchie, de subordination, d’unité et de totalité, légitimant ainsi une approche générative et linéaire de la langue : « La domination linéaire ne se limite pas non plus à la vie, à la famille et à la prose fictionnelle. Il y a une dimension du langage en général où, prenant la phrase comme famille de mots et comme unité de sens, les phrases croissent selon le même principe de génération sérielle, en vertu duquel les séquences impliquent leur propre achèvement et où la clôture peut être retracée jusqu’à l’origine [38][38]Ibid., p. 8 : « Nor does the linear dominance limit itself to… ». Dans les années 90, les diagrammes arborescents referont leur apparition dans la théorie littéraire avec Franco Moretti qui reprend la métaphore généalogique dans une perspective explicitement darwinienne pour soutenir son projet d’une « autre histoire de la littérature ».
L’arbre comme outil de critique littéraire
20Le critique italien a présenté son projet une première fois dans son Atlas du roman européen 1800-1900, avant de lui donner une forme plus radicale et plus achevée dans son essai-manifeste de 2008, Graphes, cartes et arbres [39][39]F. Moretti, Graphes, cartes et arbres. Modèles abstraits pour…. Rompant avec la tradition bien enracinée des microlectures, Moretti en appelle dans cet ouvrage à une autre façon de lire, non plus de « près » selon la pratique du close reading, mais « de loin » et en le « prenant de haut [40][40]Selon les termes de M. Escola, « Voir de loin. Extension du… ». Plus précisément, il ne s’agit plus de lire mais de voir pour comprendre les mécanismes de développement et d’évolution de la littérature mondiale. Et pour voir, il faut appliquer à la littérature un « processus de réduction et d’abstraction délibéré » qui consiste à compter, quantifier, mettre en série, cartographier, diagrammatiser plutôt qu’à interpréter. Immense dépaysement pour les littéraires qui revendiquent comme leur spécificité une approche herméneutique attentive au sens des textes individuels plutôt qu’aux relations et aux ensembles. Or Moretti les convie sans ambages à utiliser une méthode qui emprunte ses modèles aux disciplines les plus éloignées des études littéraires : « les graphes de l’histoire quantitative, les cartes de la géographie et les arbres de la théorie de l’évolution » [41][41]L. Jeanpierre, « Introduction », Graphes, cartes et arbres, op.…, auxquels sont consacrées respectivement les trois sections de l’ouvrage. De graphe en arbre et de carte en diagramme, l’objectif est d’expliquer des faits et des structures générales qui apparaissent « en masse » afin de parvenir à une représentation à la fois simple et économique du système littéraire dans son ensemble. La tâche des diagrammes arborifiés dans ce projet est de restituer « le mouvement des métamorphoses et ses lois, les chances d’émergence et de survie de formes nouvelles, la possibilité pour le système littéraire de produire du nouveau, des ruptures d’ordonnancement ou la reproduction de soi à toutes les échelles : techniques d’écriture, genres, traditions nationales, systèmes d’échanges dans l’espace littéraire mondial [42][42]L. Jeanpierre, « Introduction », Graphes, cartes et arbres, op.… ». L’arbre de Moretti est explicitement emprunté aux théories néo-darwiniennes de l’évolution qui sont gouvernées par les principes de sélection naturelle et d’extinction, lesquels obligent « à penser ensemble succession diachronique et écartement synchronique, en laissant à décider quel axe est le plus significatif [43][43]M. Escola, « Voir de loin. Extension du domaine de l’histoire… ». Le bénéfice heuristique escompté est une représentation synoptique de l’histoire littéraire où « l’histoire et la forme » seront corrélées de manière systématique, comme deux dimensions du même arbre. Selon Moretti, l’évolution de la littérature est en effet soumise à des « forces » sociales et morphologiques dont il entend rendre compte à l’aide d’une « morphologie comparée [44][44]F. Moretti Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 124. » dont il emprunte les principes au zoologiste anglais D’Arcy Thompson qui cherchait à « déduire de la forme d’un objet les forces qui ont agi ou agissent sur elle [45][45]Ibid., p. 92. ». Dans le même esprit, Moretti se donne pour objectif d’analyser ce qu’il appelle l’« aspect le plus profondément social de la littérature » : « La forme en tant que force [46][46]F. Moretti (dir.), La littérature au laboratoire, Paris, Les… ».
21Mais de quelle nature sont les forces qui informent l’histoire littéraire ? Pour expliquer les mutations de l’écosystème littéraire, Moretti recourt à deux modèles différents. Il invoque tour à tour la pression externe du « milieu littéraire » (évolution sociale et économique, pressions politiques, etc.) et les forces sociales internes au milieu littéraire où opère la « sélection naturelle » (invention régulière de nouveaux sous-genres au rythme du renouvellement des générations) [47][47]M. Escola, « Voir de loin. Extension du domaine de l’histoire…. L’évolution du système littéraire s’explique ainsi par deux types de forces et de milieux au sens biologique du terme. Ce qui détermine la victoire de telle force sur telle autre, c’est le principe darwinien des « variations avantageuses » qui, dans l’éventail des formes, des procédés et des traditions littéraires, sont seules à persister au cours de l’évolution. L’exemple donné est un arbre illustrant les relations entre Conan Doyle et ses contemporains immédiats qui, contrairement à lui, n’ont pas utilisé d’« indices » dans leurs romans et sont très vite tombés dans l’oubli. Le constat a valeur d’illustration de l’une des lois du « marché littéraire », à savoir « une compétition impitoyable fondée sur la forme [48][48]F. Moretti, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 104. », qui entraîne la disparition de récits n’employant pas un procédé narratif plébiscité par les lecteurs : « la divergence devient alors, comme l’a vu Darwin, inséparable de l’extinction [49][49]Ibid., p. 110. ». Solidaire de l’extinction, la divergence est selon Moretti le principe dominant de l’évolution littéraire. Il s’agit là d’une transposition, à l’évolution culturelle, de la dynamique de l’évolution naturelle qui, selon Stephen Jay Gould, consiste en cela que « la sélection naturelle favorise généralement, au sein du spectre des variants issus d’une souche parentale donnée, les formes les plus divergentes, les plus différentes, les plus extrêmes [50][50]S. Jay Gould, La structure de la théorie de l’évolution, Paris,… ». Transposé à l’histoire littéraire, ce principe impose l’idée d’une succession historique par divergences formelles : les formes, en changeant, se mettent à diverger l’une de l’autre, allant « d’une origine commune unique à une immense variété de solutions [51][51]F. Moretti, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 102. ». Cette contrainte directionnelle de la croissance n’est pas pour Moretti un obstacle mais une hypothèse heuristique qui lui permet de rendre compte, de manière schématique et intuitive, des temporalités multiples qui sont à l’œuvre dans l’apparition et la péremption apparemment cyclique des sous-genres, au sein de genres pensés sur le mode de la longue durée. Ce schéma évolutif ayant été appliqué avec succès à la linguistique, le critique considère comme légitime son application à la littérature ou, du moins, aux formes littéraires, avec leurs genres et leurs sous-genres : « si le langage évolue par divergence, pourquoi pas la littérature ? [52][52]Ibid. ». Ici, on pourrait craindre que Moretti soit victime d’une argumentation circulaire : informant par avance la matière à traiter, le modèle darwinien ne fait-il pas apparaître un mode d’évolution posé a priori, qui dépend plus des propriétés morphologiques de l’arbre que de la véritable dynamique de l’histoire littéraire ? Cette objection est entrevue par le critique italien lorsqu’il oppose ses propres thèses à la plasticité morphologique du champ culturel postulée par Stephen Jay Gould pour qui l’évolution « culturelle », contrairement à l’évolution « naturelle », se caractérise par une tendance au syncrétisme et à l’hybridation :
À tous les niveaux de l’éventail du vivant, l’évolution darwinienne est une histoire de prolifération continue et irréversible [...] un processus permanent de séparation et de différenciation. En revanche, le changement culturel est puissamment stimulé par la fusion et l’anastomose des différentes traditions. Un voyageur intelligent peut découvrir la roue dans une contrée étrangère, rapporter l’invention chez lui et changer radicalement et définitivement la culture de sa propre société [53][53]S. Jay Gould, L’éventail du vivant. Le mythe du progrès, Paris,….
23Pour comprendre le pouvoir des formes, des genres ou des traditions dans le temps, le « syncrétisme » est donc tout aussi important que la « divergence », « l’interconnexion » que « l’arborescence », conclut Moretti [54][54]F. Moretti, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 112.. Mais pour qu’il y ait convergence encore faut-il qu’il y ait eu une divergence première, et cette convergence à son tour produit une nouvelle et puissante poussée de divergence, ajoute-t-il : « La divergence prépare le terrain à la convergence qui provoque une nouvelle divergence : voilà, semble-t-il, la configuration typique [55][55]Ibid., p. 114. ». Le modèle se trouve ainsi dynamisé à travers une série de divergences rattrapées en convergences à l’intérieur d’une histoire culturelle qui emprunte ses principes à l’évolution naturelle. L’arbre autorise en effet une construction pas à pas, phase par phase, qui modélise l’enracinement dans l’histoire comme une progression rythmique, par scissions recommencées à partir d’un tronc commun. Mais ce modèle rend-il vraiment compte de la dynamique de l’évolution littéraire ou a-t-on affaire à un raisonnement circulaire qui se contente de retrouver dans les conclusions les prémisses de départ ? Le principe de croissance par divergence est-il une propriété de la matière traitée ou du modèle utilisé pour en rendre compte ? Auquel cas son utilisation ne répondrait pas à une démarche véritablement heuristique mais servirait seulement à étayer son postulat d’une histoire littéraire gouvernée par la divergence. Ce qui reviendrait à substituer à la dynamique de l’évolution la structure de l’arbre prise comme substance : « non content de l’ordonner et de la hiérarchiser, il finit par la définir en devenant la structure même, substantielle, de son énoncé [56][56]Voir l’appel à communications de Trames arborescentes II par N.… ». En effet, si toute matière peut faire l’objet d’une modélisation en arborescence, on risque de perdre de vue la singularité de la matière traitée en la réduisant à la structure du schéma arborescent lui-même. D’où la nécessité de bien distinguer la matière de sa représentation afin de préserver la première des médiations culturelles susceptibles de la dénaturer. Car on ne peut jamais être assuré de ne pas importer inconsciemment des contenus préformés dans le savoir que l’on cherche à construire à l’aide de l’arbre. Un écueil auquel Darwin fut lui-même confronté au moment de proposer sa modélisation de l’évolution naturelle, le fameux diagramme de la vie, dont l’étude génétique montre comment il oscille entre la figuralité de deux diagrammes naturels : l’arbre et le corail.
L’arbre de la vie : Darwin
24Le fameux arbre de vie (tree of life) ou arbre généalogique des vivants est incontestablement l’un des diagrammes les plus influents dans notre vision du monde depuis cent cinquante ans. Posant le problème du rapport de la genèse et de la forme, de la spontanéité naturelle et de la structure, l’arbre devient avec Darwin le diagramme de la plasticité du vivant. Ce diagramme stylisé et abstrait est le seul dessin à illustrer De l’origine des espèces. Darwin y a résumé son histoire naturelle par une combinaison de points et de lignes, de chiffres et de lettres qui permet d’embrasser d’un coup d’œil une histoire naturelle qui révèle la parenté de tous les êtres vivants, ceux qui nous entourent et ceux qui ont depuis longtemps disparu. Ce diagramme a été très souvent commenté, au point de devenir un moment incontournable dans tout ouvrage comportant dans son titre les mots « Darwin » ou « darwinisme ». Après les scientifiques, les philosophes et les anthropologues, ce sont maintenant les historiens de l’art qui proposent une interprétation génétique de l’arbre de la vie en s’attachant aux esquisses qui ont conduit au diagramme publié [57][57]Voir en particulier les deux ouvrages suivants : J. Voss,…. Darwin n’a en effet cessé de proposer de nouveaux croquis de ce qu’il appelait son « étrange diagramme [58][58]Dans une lettre au géologue Charles Lyell, datée… » (queer diagram), qu’il corrigeait, retravaillait, améliorait inlassablement, tout comme il le faisait des illustrations qu’il commandait à des dessinateurs de métier. Ses esquisses puisent abondamment au vocabulaire graphique de l’époque : des lignes pour signifier le temps, des angles pour montrer la ressemblance des organismes, des pointillés pour symboliser la disparition d’une espèce. Par son activité graphique, Darwin apprit à penser en termes de millions d’années, à évaluer les conséquences des petites variations sur le temps long et à les mesurer par l’angle d’inclinaison d’une ligne [59][59]J. Voss, Darwins Bilder, op. cit., p. 20..
25L’arbre de la vie est un diagramme au sens fort du terme car il permet de visualiser sous une forme spatiale des relations causales, temporelles et hiérarchiques qui inscrivent l’enchevêtrement dynamique de la lutte pour la vie dans un espace schématisé. Présenté par Darwin comme le symbole de son œuvre, l’arbre de la vie est le chiffre de la Nature saisie comme un tout. Sans cette représentation synoptique, il serait impossible de se faire une image globale du processus de la sélection et de la variation naturelles. L’arbre de la vie permet de saisir en un coup d’œil l’infinie variabilité de la nature, la survie et l’extinction des espèces ainsi qu’un ensemble de mécanismes abstraits tels que la généalogie intergénérationnelle ou la coordination entre variation et hérédité qui mène à la divergence et à l’extinction. Comme l’écrit Horst Bredekamp :
Darwin a traduit son histoire naturelle dynamisée dans une image diagrammatique grâce à laquelle on pouvait reconnaître d’un coup d’œil l’enchevêtrement de la Struggle for Life. La lutte pour la vie, symbolisée par la combinaison des points et des lignes, des chiffres et des lettres, devenait le médium d’explication du système en soi. [...] L’image devint la vraie nature de l’évolution [60][60]H. Bredekamp, Les coraux de Darwin, op. cit., p. 129..
27Exhibant dans le visible des opérations jusque-là restées muettes, l’arbre de la vie tire son pouvoir heuristique des opérations de visualisation et de contraction par lesquelles il rend intelligibles les principes dynamiques qui gouvernent l’évolution des espèces. Comme tous les diagrammes, il permet de modéliser son objet par abstraction et simplification. Mais derrière le lissé géométrique, quel est le schème originaire qui a guidé Darwin ? C’est la question posée par Horst Bredekamp dans Les coraux de Darwin. Replaçant le diagramme à la fois dans l’histoire générale des représentations de la nature et dans celle de la pensée darwinienne, l’historien de l’art fait l’hypothèse que, derrière le « tree of life », se cacherait non pas l’image d’un arbre mais la structure du corail. La doxa darwinienne reposerait donc sur un malentendu où les bras des coraux ont été pris pour des branches d’arbres et les buissonnements coralliens pour un arbre généalogique. Les carnets de Darwin, qui ont été les supports actifs du processus intellectuel menant à la théorie de l’évolution, montrent en effet que le naturaliste anglais a exploré successivement différentes possibilités graphiques avant de publier son livre. Le laboratoire privé de ses carnets donne notamment à voir une oscillation entre l’image d’un arbre plus ou moins généalogique et le formalisme du corail, qu’il a très tôt mobilisé puis constamment repris, décliné, mis à l’épreuve d’autres modèles, pour finalement l’abandonner au profit du diagramme arborescent. Une décision motivée par la crainte de perdre la paternité de ses recherches face à son concurrent Alfred R. Wallace [61][61]En 1858, Alfred R. Wallace avait en effet rédigé un article qui….
28Bredekamp avance un second argument en faveur du modèle corallien : le hiatus qui existe entre texte et image dans L’origine des espèces. Le commentaire de l’arbre et le diagramme sont en effet traités dans deux développements nettement séparés, ce qui place le lecteur face à une situation où Darwin semble refuser « la métaphore de l’arbre dès qu’il décrit le diagramme et, en retour, ne dit mot de la planche quand il évoque cette métaphore [62][62]Ibid., p. 95. Notons que Darwin aura eu besoin de 11 pages pour… ». Dans le commentaire qui introduit l’arbre de la vie, le naturaliste n’évoque en effet nulle part les branches d’un arbre, pas un seul mot ne désigne des feuilles ou des rameaux, le diagramme est commenté en termes abstraits, évacuant ainsi tout ce que le mimétisme naturel peut avoir de frappant. Lorsque les branches sont évoquées, c’est presque toujours au sens d’embranchement, à savoir la forme géométrique de la division qui n’a pas de rapport nécessaire avec les branches naturelles de l’arbre. Darwin décrit le diagramme more geometrico, c’est-à-dire par le seul usage des termes « points » et lignes « pointillées », « continues » ou « interrompues » ainsi que par le recours à des chiffres et des lettres. Le mot « arbre » lui-même n’apparaît qu’à la fin du chapitre 4, entouré de marques d’hésitation, probablement en raison des échos religieux associés à l’arbre de la vie : « On a quelques fois représenté au moyen d’un grand arbre les affinités de tous les êtres de la même classe, et je crois que cette image est très juste sous bien des rapports [63][63]C. Darwin, L’origine des espèces au moyen de la sélection… ». Le conflit entre l’arbre et le corail prend donc la forme d’un clivage entre le langage et l’image : tout se passe comme si Darwin n’avait pu se passer du recours à l’arbre mais que cette image portait la trace de la contradiction intérieure qui le conduisit à propager, pour des raisons de paternité, une structure arborescente dont il n’était pas intimement convaincu.
Charles Darwin, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, 1st ed., London, John Murray, 1859, Chapter 4, p. 116-117.
, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life,
29Mais qu’est-ce qui distingue une pensée « en arbre » d’une pensée « en corail » ? Selon Horst Bredekamp, les deux schèmes s’opposent comme une représentation hiérarchique et ordonnée de l’évolution s’oppose à un buissonnement chaotique où les espèces vivantes émergent à partir d’espèces disparues. L’arbre en effet ne permet pas de rendre compte des fossiles et de leur inscription dans la profondeur des temps alors que le corail présente un contraste entre les parties mortes et les parties vives, ce qui permet de reporter l’histoire des espèces, avec son nombre impressionnant d’espèces éteintes, à l’intérieur de périodes superposées horizontalement. Darwin montre comment les espèces vivantes actuelles ont émergé d’espèces disparues, figurées par les troncs et les bras pétrifiés du corail qui représentent les fossiles des espèces mortes. La thèse d’une origine corallienne du tree of life repose donc sur un argument qui touche à la visualisation de l’héritage fossile : contrairement à l’arbre, le corail permet de visualiser l’action du temps de façon immédiate et intuitive, en l’inscrivant dans le rapport entre espèces vivantes et espèces éteintes. Une autre différence entre les deux modèles tient à la structure des embranchements ou ramifications : les extrémités des branches d’arbre croissent toujours davantage en largeur, créant ainsi d’immenses écarts entre les différentes branches latérales inférieures, pourtant définies à l’origine par leurs nombreuses affinités. En revanche, les branches et les ramifications du corail peuvent toujours produire de nouvelles unions, même après leur division, contredisant ainsi l’image d’une évolution ascendante ordonnée [64][64]H. Bredekamp, Les coraux de Darwin, op. cit., p. 47.. Ce mode de structuration témoigne pour Bredekamp d’une variabilité anarchique de la nature par opposition à la structure hiérarchique et ordonnée du modèle arborescent, avec ses différenciations toujours plus marquées.
30Ce n’est donc pas la même chose que de penser en arbre ou en corail, chacun de ces modèles visuels étant l’expression et le support d’opérations conceptuelles spécifiques, qui impliquent des conceptions différentes de l’évolution. Mais au-delà même de ces divergences se pose la question du bien-fondé d’une lecture figurative du diagramme darwinien : dans sa version publiée, il possède en effet une abstraction telle que rien n’oblige à en faire une lecture figurative. Le lissé schématique de sa structure en ramures se prête tout aussi bien à une lecture figurative qu’à une interprétation more geometrico, comme celle que propose Julia Voss. Dans la thèse qu’elle a consacrée aux images de Darwin sous la direction de Horst Bredekamp, elle conteste l’opposition établie par ce dernier entre la structure hiérarchique de l’arbre et le buissonnement anarchique du corail [65][65]J. Voss, Darwins Bilder, op. cit., p. 25.. Comme elle le rappelle, jusqu’à l’introduction par Haeckel d’un arbre généalogique de l’évolution, l’arbre de la vie avait pris des formes variées qui étaient loin d’être toutes hiérarchiques. Cette diversité autorisait Darwin à utiliser l’expression « tree of life » tout en donnant à son diagramme de l’évolution une structure non hiérarchique.
31Comme on le voit, le diagramme n’est pas simplement une figure servant à mettre sous les yeux, c’est d’abord un dispositif technique et sémiotique qui, pour fonctionner, demande à être lu, interprété, activé par un lecteur maîtrisant les codes. Lire le diagramme, c’est le faire fonctionner, c’est se l’approprier comme on s’approprie le mode de fonctionnement d’une machine. Par ce geste d’appropriation, le lecteur prend part à l’opération de l’esprit qui lui est présentée, il peut éventuellement mettre en pratique le savoir qu’il produit ou au contraire le compléter, le critiquer, voire lui donner des prolongements qui lui permettront de « se déborder lui-même [66][66]G. Châtelet, L’enchantement du virtuel. Mathématique, physique,… ». Car le diagramme est toujours susceptible d’être réactivé par de nouvelles interprétations, qui pourront suggérer des connexions nouvelles et lui permettre de se prolonger au-delà de lui-même. Sous-déterminé, il est « promesse de virtualités à éveiller [67][67]C. Alunni, « Introduction », ibid., p. 51. » et, à ce titre, toujours en puissance d’engendrer une lignée de diagrammes au sens où Simondon parle de « lignées techniques » [68][68]G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris,…. La lignée ne se définit pas en fonction d’une finalité extrinsèque comme l’usage, mais selon une logique interne qui correspond aux schèmes de fonctionnement des objets techniques [69][69]Ibid., p. 19.. Ainsi, pour reprendre un exemple classique, une logique technique ne va pas rassembler sous une même famille un moteur à vapeur et un moteur à ressort sous prétexte qu’ils ont le même usage, mais va plutôt faire ressortir l’analogie réelle existant entre le moteur à ressort et l’arc, ces deux artefacts présentant un schème de fonctionnement similaire qui consiste en l’emmagasinage d’une énergie potentielle restituée ensuite par détente. Le schème n’est jamais pleinement actuel puisqu’il recèle des potentialités qui peuvent s’exprimer dans de nouvelles formes à produire, tout « comme dans une lignée phylogénétique, un stade défini d’évolution contient en lui des structures et des schèmes dynamiques qui sont au principe d’une évolution des formes » [70][70]G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op.…. C’est une unité en devenir qui se transforme au sein d’une lignée – qu’elle soit technique ou pas – grâce à sa capacité à produire des structures et des fonctions par développement interne. En ce sens, les mutations de l’arbre peuvent être comprises comme le résultat d’opérations cognitives qui consistent à réinvestir ses schèmes de fonctionnement pour les transposer à des objets nouveaux, dans une pratique inventive qui vise à en dégager les différentes virtualités.
De l’arbre au rhizome
32Recours heuristique incontournable, l’arbre est un archétype de la pensée diagrammatique, un de ses schèmes originaires. C’est pourquoi il reste aujourd’hui très présent dans l’imaginaire occidental, au point que Gilles Deleuze et Félix Guattari s’en disent « fatigués » :
Nous sommes fatigués de l’arbre. Nous ne devons plus croire aux arbres, aux racines ni aux radicelles, nous en avons trop souffert. Toute la culture arborescente est fondée sur eux, de la biologie à la linguistique. Au contraire, rien n’est beau, rien n’est amoureux, rien n’est politique, sauf les tiges souterraines et les racines aériennes, l’adventice et le rhizome [71][71]G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, Capitalisme et….
34Bien sûr, ce n’est pas l’arbre inventif et vivant que les deux philosophes ont en vue mais seulement l’un de ces schèmes pauvres et mortifères qui, selon eux, donnent « une triste image de la pensée » parce qu’ils la réduisent à « une structure qui se définit par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires entre ces points et de relations biunivoques entre ces positions [72][72]Ibid., p. 32. » :
L’arbre ou la racine inspirent une triste image de la pensée qui ne cesse d’imiter le multiple à partir d’une unité supérieure, de centre ou de segment. [...] On ne sort jamais de l’Un-Deux, et des multiplicités seulement feintes. [...] Les systèmes arborescents sont des systèmes hiérarchiques qui comportent des centres de signifiance [73][73]Ibid., p. 25..
36Ici encore, c’est le principe de divergence qui est retenu comme la caractéristique la plus saillante des organisations arborescentes. Paradoxalement, l’arbre de Deleuze et Guattari apparaît comme une négation du vivant : bidimensionnel, schématisé, il est un avatar de l’Arbor porphyriana, de la structure hiérarchique inventée par Porphyre pour représenter des relations logiques. L’arbre en ce sens est un modèle de la division d’un principe jusqu’à son terme ultime, de la chute dans le multiple à partir d’une singularité qui est pensée comme éminemment divisible. Il y a fort à parier que la lassitude des deux philosophes à l’égard des schémas arborescents soit en rapport avec l’usage exacerbé que le structuralisme en a fait – de Jakobson à Lévi-Strauss, de Chomsky à Barthes –, en vue de fournir des images panoptiques de ses objets [74][74]N. Virenque, texte de présentation de Trames arborescentes II :…. Farouches contempteurs de ce modèle, Deleuze et Guattari considèrent le paradigme arborescent comme archétypal de toute « la réalité occidentale et toute la pensée occidentale, de la botanique à la biologie, l’anatomie, mais aussi la gnoséologie, la théologie, l’ontologie, toute la philosophie », auxquelles il aurait imposé l’organisation hiérarchique, binaire et centrée qui est typique des pensées de la fondation : « le fondement-racine, Grund, roots et fundations [75][75]G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 27. ». Toute pensée aborescente part d’une forte unité principale supposée et procède par logique binaire (on part de l’Un qui devient deux, puis deux qui deviennent quatre, etc.), en ignorant la multiplicité qui se trouve ainsi réduite. Pour contrer la domination idéologique de l’arbre, Deleuze et Guattari en appellent à une stratégie de contournement et de détournement qui est induite par l’image de l’arbre elle-même : sa plasticité favorise en effet toutes sortes de transformations, raccourcis, reconfigurations, ajouts, greffes, court-circuits qui possèdent des potentialités signifiantes propres, de même qu’une immense variabilité figurative et métaphorique [76][76]N. Virenque, Appel à communications de « Trames…. De proche en proche, ils vont ainsi construire une contre-image de l’arbre, plaidant la cause du « chaosmos-radicelle » contre celle du « cosmos-racine », celle du tubercule contre la graine, de l’alliance contre la filiation, des connexions aléatoires contre les connexions réglées. Dans cette constellation, le rhizome joue le rôle d’une véritable « machine de guerre » : invention conceptuelle exempte d’histoire et de développements antécédents, le rhizome ne prend pas place entre la terre et le ciel mais il produit en surface des structures horizontales qui s’étendent dans toutes les directions. À la verticalité et à la visibilité des branches de l’arbre, à l’organisation des racines qui le soutiennent, il oppose ses ramifications invisibles et souterraines qui échappent à la lisibilité visuelle et mentale du modèle arbrifié, suggérant que l’intensité et la dynamique de ce qui fait réellement les choses se trouvent en-deçà de l’arborescence. Alors que l’arbre définit une multiplicité toujours dérivée d’une unité originaire et qui se ramifie ensuite, le rhizome permet de penser une multiplicité d’emblée irréductible, sans origine ni fin unificatrice, un système ouvert qui se définit par les réalités hétérogènes qu’il connecte par la seule variation de ses connexions : il « connecte un point quelconque avec un autre point quelconque, et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à des traits de même nature, il met en jeu des régimes de signes très différents et même des états de non-signes [77][77]G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 31. ». Le rhizome entraîne ainsi un déplacement du regard, qui devient attentif non plus à la répartition des branches et à la distribution des fruits, mais aux linéaments des « à-côtés », aux « entre-deux », aux réseaux souterrains et aux déploiements aériens qui lient les choses entre elles. Remettant en cause le principe de divergence auquel les diagrammes arborescents doivent leur opérationnalité, Deleuze et Guattari lui substituent une loi de prolifération anarchique qui n’est pas sans évoquer celle du buissonnement corallien.
37Présenté dans Mille Plateaux, le rhizome n’est pas seulement une image de pensée mais aussi un schématisme de composition qui commande le mode d’agencement du livre : en effet, « il n’y a pas de différence entre ce dont un livre parle et la manière dont il est fait », écrivent Deleuze et Guattari [78][78]G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 10.. Mille Plateaux n’est pas un livre fait de chapitres, avec « leurs points culminants » et leurs « points de terminaison », mais un livre-rhizome fait « de plateaux communiquant les uns avec les autres à travers des micro-fentes, comme pour un cerveau [79][79]Ibid., p. 33. ». Emprunté à Gregory Bateson, le terme de « plateau » renvoie à « une région continue d’intensité [] qui se développe en évitant toute orientation sur un point culminant ou vers une fin extérieure [80][80]Ibid., p. 32. ». Excluant la dimension verticale surplombante qui caractérise l’arbre, le plateau est l’espace relativement stable où le rhizome fait passer des intensités, les produit et les distribue, se constituant ainsi en puissance d’écriture et de pensée. Les deux auteurs insistent cependant pour dire qu’il n’y a pas d’opposition absolue entre structure et rhizome, dont l’antagonisme ne saurait être réduit sur le mode binaire : d’un côté, la figure traditionnelle de l’arbre, ordonnée autour d’un « axe génétique » reflétant la loi de divergence du « Un qui devient deux » ; de l’autre, une autre figure, plus complexe, qui ouvrirait sur le multiple et l’hétérogène. Deleuze et Guattari refusent de penser le rapport arbre-rhizome sur un mode duel : tandis que le rhizome peut s’arbrifier et se stabiliser par « unifications et totalisations », « mécanismes mimétiques » et « subjectivation[s] [81][81]Ibid., p. 21. », le mouvement inverse peut aussi se produire : « Au cœur d’un arbre, au creux d’une racine ou à l’aisselle d’une branche, un nouveau rhizome peut se former [82][82]Ibid., p. 23. ».
38Mais quel est le statut épistémologique du rhizome ? Selon Guillaume Artous-Bouvet, il n’est ni une métaphore ni un modèle, il n’est pas non plus un contre-modèle (de l’arbre ou de la structure) ou une sorte de « méta-modèle intégratif [83][83]Comme l’écrit G. Artous-Bouvet, « le rhizome n’est pas à… », mais une puissance de « démodélisation », cela même qui en dernier recours subvertit tout modèle, à commencer par le modèle arborescent : « nous ne nous servons d’un dualisme de modèles que pour atteindre à un processus qui récuserait tout modèle [84][84]G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 31. ». Situé à un autre niveau épistémologique que l’arbre, le rhizome est « un devenir, une puissance de métamorphose [85][85]G. Artous-Bouvet, « Rythmes, rhizomes, machines : la Nature… » qui permet de transformer l’arbre dans le sens d’une dynamique de déploiement désordonnée ouverte sur l’hétérogène et le multiple. Il est la force de vie grâce à laquelle les modèles arborescents et structuraux peuvent être défigurés et reconfigurés. Or c’est précisément en ces termes que Deleuze, dans son livre sur Bacon, décrit le mode opérationnel du diagramme, ce « lieu agité de toutes les forces » [86][86]G. Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris,… où s’opère la destruction d’un régime significatif déjà existant pour permettre l’émergence d’un ordre nouveau. Dans la conception deleuzienne, le geste diagrammatique comporte deux moments : d’abord un moment de destruction ou de déterritorialisation, qui est suivi par un moment de création, de reconfiguration de la figure initiale. Entre les deux se trouve une zone d’indétermination où s’exerce l’opérativité du diagramme, qui consiste à redistribuer les rapports d’une situation donnée pour en inventer une autre. Tenant revendiqué d’une pensée diagrammatique, en contrepoint notamment de la pensée arborescente, Deleuze définit le diagramme comme un moyen d’instiller de la transition dans des structures trop figées, ce qui correspond également à la fonction qu’il attribue au rhizome. Contrairement à l’arbre qui modélise, le diagramme « agit comme processus immanent qui renverse le modèle et ébauche une carte, même s’il constitue ses propres hiérarchies, même s’il suscite un canal despotique [87][87]G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p 31. ». Le statut du rhizome pourrait alors être celui du diagramme-catastrophe qui dé-figure l’arbre, le fait muter, pour en faire jaillir de nouvelles virtualités. Dans cette perspective, la dichotomie deleuzienne entre l’arbre et le rhizome, loin de marquer une véritable opposition, serait une simple distinction « entre une pensée au fondement dialectique et une pensée tout juste post-structuraliste [88][88]C’est ce que suggère le texte d’appel à communications écrit… ».
Conclusion
39Malgré sa fortune littéraire et philosophique, le rhizome n’a pas eu raison de l’arbre qui continue à faire l’objet des convocations méthodologiques les plus diverses, notamment en informatique et en mathématique. Ses contempteurs eux-mêmes continuent à le mobiliser, comme en témoigne Stephen Jay Gould qui, tout en contestant sa pertinence pour modéliser l’évolution, continue à l’utiliser à d’autres fins : son « iconographie d’un préjugé » reste finalement prise dans les branches et les ramifications de l’arbre [89][89]Voir notamment S. Jay Gould La Vie est belle. Les surprises de…. Cette pérennité de l’arbre comme schème et comme diagramme, s’explique par une immense variété fonctionnelle et figurative, qu’il doit tout à la fois à ses propriétés topologiques, à ses qualités heuristiques et taxinomiques, au travail de visualisation qu’il rend possible, à sa valeur symbolique et à la densité de la mémoire culturelle dont il est porteur. Doté d’une plasticité et d’une polyvalence exceptionnelles, il est ouvert à toutes les opérations de dé-figuration et de reconfiguration possibles : par schématisation, par abstraction ou au contraire par re-figuration comme dans les exemples du corail ou du rhizome. Si l’arbre ne se suffit pas à lui-même, il possède la capacité de se réinventer et de faire jaillir d’autres figures d’intelligibilité. En témoignent les fréquents détournements et contournements dont il a fait l’objet, qui lui ont donné une portée métacognitive susceptible d’étendre encore son opérationnalité.
Notes
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[1]
Cf. sur cette question l’article de J. Jochen Berns, « Baumsprache und Sprachbaum. Baumikonographie als topologischer Komplex zwischen 13. und 17. Jahrhundert », in K. Heck, B. Jahn (hrsg), Genealogie als Denkform in Mittelalter und Früher Neuzeit, Tübingen, Niemeyer, 2000, p. 160 sq.
-
[2]
Cette étude s’appuie largement sur les différents textes parus sur le site « Trames arborescentes », créé et administré par N. Virenque. Né en 2015 d’un projet portant sur le motif tant littéraire qu’iconographique et philosophique de l’arbre et de l’arborescence, ce site propose une vue très complète de ses diverses utilisations dans tous les domaines de la pensée : mathématiques, histoire, biologie, médecine, histoire de l’art, littérature, philosophie, etc. https://trarbor.hypotheses.org.
-
[3]
Voir le texte de présentation du site « Trames arborescentes », par N. Virenque et É. Fourcq, mis en ligne le 16 décembre 2015. https://trarbor.hypotheses.org/3. Consulté le 19 septembre 2016.
-
[4]
M. Eliade, Traité d’histoire des religions, Paris, Payot, 1970, p. 232.
-
[5]
G. Gusdorf, Fondements du savoir romantique, Paris, Payot, 1982, p. 436.
-
[6]
G. Bachelard, La terre et les rêveries du repos, Paris, Corti, 1948, p. 299.
-
[7]
B. Saint Girons, « L’arbre ou le corail : comment imaginer la vie ? », dans J. Pigeaud (dir.), L’arbre. Ou la raison des arbres, xviie entretiens de La Garenne Lemot, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 132.
-
[8]
Voir l’article de Y. Hersant, « Arbor Gilpiniana », dans J. Pigeaud (dir.), L’Arbre, ou la raison des arbres., ibid., p 161. Voir également l’article de C. Erismann, « Processio id est multiplicatio. L’influence latine de l’ontologie de Porphyre : le cas de Jean Scot Érigène », Revue des sciences philosophiques et théologiques, 2004/3 (Tome 88), p. 40-460. Voir enfin S. Auroux, « Dossier 5. Port-Royal et l’arbre de Porphyre », dans Archives et documents de la Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage, Seconde série, n°6, 1992. L’identification d’une catégorie linguistique : l’adjectif. Choix de textes. p. 109-122 ; https://doi.org/10.3406/hel.1992.3378 ; https://www.persee.fr/doc/hel_0247-8897_1992_num_6_1_3378.
-
[9]
Porphyre, Isagoge 4.15, trad. fr A. de Libera et A.-Ph. Segonds, Paris, Vrin, 1998.
-
[10]
É. Gilson, La philosophie au Moyen Âge. Paris, Paris, Payot, 1944, p. 207.
-
[11]
C. Erismann, « Processio id est multiplicatio. L’influence latine de l’ontologie de Porphyre : le cas de Jean Scot Érigène », art. cit., p. 439.
-
[12]
G. Bachelard, L’air et les songes, Paris, Corti, 1943, p. 19.
-
[13]
Ibid.
-
[14]
Voir l’appel à communication pour le colloque « Trames arborescentes I. Confection et croissance de structures textuelles et iconographiques au Moyen Âge et à l’époque moderne ». Texte de N. Virenque et É. Fourcq. Consulté en ligne le 1er décembre 2015 : https://trarborescentes.sciencesconf.org/resource/page/id/28.
-
[15]
R. Descartes, Lettre-préface des Principes de la philosophie, Paris, Flammarion, 1996, p. 74.
-
[16]
G. Gusdorf, Fondements du savoir romantique, op. cit., p. 440.
-
[17]
Sur cette question, voir le collectif dirigé par A. Cernuschi, A. Guilbaud, M. Leca-Tsiomis, I. Passeron, Oser l’encyclopédie. Un combat des Lumières, Paris, EDP Sciences, 2017.
-
[18]
A. Cernuschi, A. Guilbaud, M. Leca-Tsiomis, I. Passeron, Oser l’encyclopédie, op. cit., p. XVIII.
-
[19]
Ibid., p. 91.
-
[20]
A. Cernuschi, A. Guilbaud, M. Leca-Tsiomis, I. Passeron, Oser l’encyclopédie. Un combat des Lumières, op. cit., p. 95.
-
[21]
Ibid., p. 48.
-
[22]
É. Brian, « L’ancêtre de l’hypertexte », Les Cahiers de Science et Vie n°47, oct. 1998, p. 28-38.
-
[23]
C. Durieux, « Texte, contexte, hypertexte », Cahier du C.I.E.L. (1994-1995), p. 215-228. Cité par F. Sammarcelli : « Virtualité et complexité : à propos de La Boucle de Jacques Roubaud », TLE n°14/1996 : La théorie au risque de la lettre, p. 69.
-
[24]
C. Vandendorpe, Du Papyrus à l’hypertexte. Essai sur les mutations du texte et de la lecture, Paris, La Découverte, 1999, p. 11.
-
[25]
L. Andreev, J. Iverson et M. Olsen, « Re-engineering a War-Machine : ARTFL’s Encyclopédie », Literary and Linguistic Computing, 1 (14), avril 1999, p. 11-28. Le projet ARTFL est un consortium né en 1982 d’un accord entre le gouvernement français et l’université de Chicago où a été menée à bien la première numérisation de l’Encyclopédie.
-
[26]
L’acronyme ENCCRE renvoie à l’Édition Numérique Collaborative et Critique de l’Encyclopédie, dont la mise en ligne correspond à la publication du collectif déjà cité, Oser l’encyclopédie. Cette édition est fondée sur la numérisation du premier tirage de la première édition de l’Encyclopédie.
-
[27]
Cf. l’appel à communication pour la journée d’études consacrée aux trames arborescentes dans les mathématiques : « Les trames arborescentes en mathématiques : histoire et épistémologie d’un outil diagrammatique ». Organisation : N. Virenque, A. Paris, S. Sancho Fibla. Disponible à l’adresse suivante : https://trarborescentes.sciencesconf.org/. Consulté le 1er septembre 2018.
-
[28]
C’est le terme utilisé par Aristote pour marquer le type de rapport où « un second terme est à un premier ce qu’un quatrième est à un troisième » (Poétique, 1457b 16-26), selon la célèbre formule : a/b = c/d. Voir l’article « Analogie » par A. de Libera dans le Vocabulaire européen des philosophies, B. Cassin (dir), Paris, Seuil-Le Robert, 2004, p. 84-86.
-
[29]
Sur les rapports de l’arbre avec les mathématiques, voir l’article de J. Dhombres, « Pourquoi analyser l’usage mathématique des mots et des symboles de l’arbre ? », dans L’arbre. Ou la raison des arbres, J. Pigeaud (dir.), op. cit., p 365-392. Ici p. 371.
-
[30]
Ibid.
-
[31]
Ibid., p. 376.
-
[32]
Ibid., p. 377.
-
[33]
R. Faure, B. Lemaire et C. Picouleau, Précis de recherche opérationnelle : Méthodes et exercices d’application, Paris, Dunod, 2009.
-
[34]
J. Dhombres, « Pourquoi analyser l’usage mathématique des mots et des symboles de l’arbre ? », art. cit., p. 372.
-
[35]
Voir l’article « Arborescence » sur Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Arborescence. Consulté le 26 mars 2020.
-
[36]
R. Barthes, Le Plaisir du texte, Paris, Seuil, 1973, p. 80.
-
[37]
P. D. Tobin, Time and the Novel. The Genealogical Imperative, Princeton, Princeton University Press, 1978, p. 18 : « The sentence […] is a genealogy in miniature. At its origin it fathers a progeny of words, sustains them throughout in orderly descent and filial obedience, and through its act of closure maintains the family of words as an exclusive totality. » Nous traduisons.
-
[38]
Ibid., p. 8 : « Nor does the linear dominance limit itself to life, the family, and prose fiction. There is a line to language in general in which, taking the sentence as a family of words and the unit of meaning, sentences grow by the same principle of serial generation, whereby sequences imply their own terminations, and closure can be traced back to origin. ». Nous traduisons.
-
[39]
F. Moretti, Graphes, cartes et arbres. Modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2008. Voir du même auteur, Atlas du roman européen 1800-1900, Paris, Seuil, 2000.
-
[40]
Selon les termes de M. Escola, « Voir de loin. Extension du domaine de l’histoire littéraire », Acta fabula, vol. 9, n°6, Juin 2008 ; http://www.fabula.org/acta/document4291.php. Page consultée le 03 juillet 2018.
-
[41]
L. Jeanpierre, « Introduction », Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 14.
-
[42]
L. Jeanpierre, « Introduction », Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 18.
-
[43]
M. Escola, « Voir de loin. Extension du domaine de l’histoire littéraire », art. cit., paragraphe 16.
-
[44]
F. Moretti Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 124.
-
[45]
Ibid., p. 92.
-
[46]
F. Moretti (dir.), La littérature au laboratoire, Paris, Les éditions d’Ithaque, 2016, p. 262.
-
[47]
M. Escola, « Voir de loin. Extension du domaine de l’histoire littéraire », art. cit., paragraphe 17.
-
[48]
F. Moretti, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 104.
-
[49]
Ibid., p. 110.
-
[50]
S. Jay Gould, La structure de la théorie de l’évolution, Paris, Gallimard, 2006, p. 334.
-
[51]
F. Moretti, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 102.
-
[52]
Ibid.
-
[53]
S. Jay Gould, L’éventail du vivant. Le mythe du progrès, Paris, Seuil, 1997, p. 271.
-
[54]
F. Moretti, Graphes, cartes et arbres, op. cit., p. 112.
-
[55]
Ibid., p. 114.
-
[56]
Voir l’appel à communications de Trames arborescentes II par N. Virenque : « Le recours aux trames arborescentes en art, littérature et sciences humaines de l’Antiquité à nos jours », https://char.hypotheses.org/5946. Consulté le 1er décembre 2016.
-
[57]
Voir en particulier les deux ouvrages suivants : J. Voss, Darwins Bilder. Ansichten der Evolutionstheorie 1837-1874, Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 2007. H. Bredekamp, Les coraux de Darwin, Premiers modèles évolutionnistes et tradition de l’histoire naturelle, Paris, Les presses du réel, 2008.
-
[58]
Dans une lettre au géologue Charles Lyell, datée du 2 septembre 1859. Cité par T. Hoquet, Comment lire L’Origine des espèces ?, Paris, Seuil, 2009, p. 123.
-
[59]
J. Voss, Darwins Bilder, op. cit., p. 20.
-
[60]
H. Bredekamp, Les coraux de Darwin, op. cit., p. 129.
-
[61]
En 1858, Alfred R. Wallace avait en effet rédigé un article qui mobilisait le modèle de l’arbre pour mettre en images l’évolution, faisant craindre à Darwin de perdre la paternité de la théorie. Dans son modèle, Wallace attribuait au tronc et aux branches principales la fonction que remplissait dans le modèle de Darwin le tronc pétrifié des coraux. Ibid., p. 71.
-
[62]
Ibid., p. 95. Notons que Darwin aura eu besoin de 11 pages pour expliciter ce que les lignes, les points, les traits, les lettres et les chiffres montrent en une seule et unique image. Ces pages sont comme le « mode d’emploi » de la théorie. Distribuées sur trois passages distincts du livre, elles se situent à des moments clés de l’argumentation.
-
[63]
C. Darwin, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle (1859), fac-similé de la première édition, Cambridge (MA), 2001, p. 180-181.
-
[64]
H. Bredekamp, Les coraux de Darwin, op. cit., p. 47.
-
[65]
J. Voss, Darwins Bilder, op. cit., p. 25.
-
[66]
G. Châtelet, L’enchantement du virtuel. Mathématique, physique, philosophie, Paris, Rue d’Ulm, 2016, p. 168.
-
[67]
C. Alunni, « Introduction », ibid., p. 51.
-
[68]
G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Aubier, 2012, p. 42.
-
[69]
Ibid., p. 19.
-
[70]
G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, op. cit., p 20.
-
[71]
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, Capitalisme et schizophrénie 2, Paris, Minuit, 1980, p. 24.
-
[72]
Ibid., p. 32.
-
[73]
Ibid., p. 25.
-
[74]
N. Virenque, texte de présentation de Trames arborescentes II : « Le recours aux trames arborescentes en art, littérature et sciences humaines de l’Antiquité à nos jours ». Déjà cité.
-
[75]
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 27.
-
[76]
N. Virenque, Appel à communications de « Trames arborescentes 3. Les trames arborescentes, outils d’écriture et de fabrique de l’histoire de l’Antiquité à la Renaissance », https://trarborescentes.sciencesconf.org/resource/page/id/17. Consulté le 24 novembre 2017.
-
[77]
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 31.
-
[78]
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 10.
-
[79]
Ibid., p. 33.
-
[80]
Ibid., p. 32.
-
[81]
Ibid., p. 21.
-
[82]
Ibid., p. 23.
-
[83]
Comme l’écrit G. Artous-Bouvet, « le rhizome n’est pas à strictement parler un modèle qui s’opposerait au modèle structural, mais un entre-deux dé-modélisant, qui ne se constitue qu’en rapport à son autre (modèle arborescent ou structural) », « Rythmes, rhizomes, machines : la Nature répétée », § 30, dans I. Cazalas et M. Froidefond (dir.), Le modèle végétal dans l’imaginaire contemporain, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2014, p. 33-46. Consulté en ligne le 19 juin 2020.
-
[84]
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p. 31.
-
[85]
G. Artous-Bouvet, « Rythmes, rhizomes, machines : la Nature répétée », art. cit., § 30.
-
[86]
G. Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris, éditions de la différence, 1981, p. 96.
-
[87]
G. Deleuze et F. Guattari, Mille Plateaux, op. cit., p 31.
-
[88]
C’est ce que suggère le texte d’appel à communications écrit par N. Virenque pour le deuxième colloque de Trames arborescentes : « Trames arborescentes II. Le recours aux trames arborescentes en art, littérature et sciences », art. cit.
-
[89]
Voir notamment S. Jay Gould La Vie est belle. Les surprises de l’évolution, Paris, Seuil, 1989, p. 44 sq.